Les idéaux d’Alex Bogusky: le capitalisme est-il soluble dans l’eau des rivières du Colorado?*

Tel que promis dans mon dernier billet, je vous reparle de la présentation d’Alex Bogusky, qu’il a donnée hier (jeudi 10 mars) à l’événement MIXX, organisé par l’IAB à Toronto.

J’avais terminé ce billet en me questionnant, comme bien d’autres avant moi, sur ce que sa démarche pouvait avoir de sincère… ou, en tout cas, de réalisable. Et après l’avoir entendu… Je ne pense pas que quiconque puisse se prononcer sur ce que pourra donner au juste son projet baptisé Common, que je tenterai de vous expliquer de mon mieux dans un moment. Mais en ce qui concerne son discours général, je suis enchantée de dire que je peux réitérer ce que j’avais écrit avant de le voir…  Bogusky s’est donné comme mission rien de moins que de « réinventer le capitalisme ».  Ambitieux, oui. Mais si l’on met un instant notre cynisme de côté, il faut bien admettre que le capitalisme a grand besoin d’être réinventé. Alex Bogusky n’est d’ailleurs pas le premier ni le seul à le dire.

Alex Bogusky en conférence à Toronto: "Aider les consommateurs à voter encore plus avec leurs dollars."

Et, ce qui nous porte à y prêter une attention spéciale, c’est que, pour une fois, le discours ne vient pas des contestataires habituels, à savoir des anticapitalistes à des degrés divers, qui se réclament souvent de la « gauche ». Ici, il nous est servi par quelqu’un qui a grandi au cœur d’une industrie qui est au cœur du capitalisme, à savoir la publicité. Comme je le résumais rapidement, Alex Bogusky, un des membres fondateurs de l’agence Crispin Porter + Bogusky, récoltait à l’époque, dans les médias, des qualificatifs du genre « rock star de la pub » et « Steve Jobs de la publicité ». Alors, quand on a appris, le 1er juillet dernier, que non seulement il quittait son agence, mais qu’il se réincarnait en sorte de contestataire du capitalisme et de la consommation, cela a quand même fait des vagues. Et sa présence hier a sans doute été pour beaucoup dans le fait que le MIXX s’est tenu dans une salle bien remplie.

Dans sa présentation, Bogusky a commencé par la question : «  What would you try if you had no fear? ». Il a ensuite résumé son cheminement, sa carrière et son évolution, pour expliquer comment il en est arrivée au point de vue qu’il défend maintenant. Voici d’ailleurs des diapos d’une précédente présentation, dans laquelle on retrouve plusieurs de celle du 10 mars.

Même à sa « grande » époque à Crispin Porter + Bogusky, a-t-il rappelé, il avait pris à cœur, comme cause, la lutte au tabagisme, en lançant la campagne The Truth. « Nous avons “brandé” une cause sociale, a-t-il dit. À l’époque, on ne savait même pas si c’était possible. Et maintenant, c’est loin d’être rare de voir de tels brandings de causes sociales. » Et il a raconté, entre autres, comment il avait perdu un pitch pour Land Rover : « J’ai appris après qu’on n’avait pas apprécié que je porte des jeans à la présentation ! Mais j’ai aussi réalisé que, dans mon for intérieur, je me demandais : « est-ce que je voudrais vraiment faire de la publicité pour ce produit »? Et puis, par la suite, nous avons eu le compte de Mini, petite voiture économique, qui concordait bien plus avec l’idée que je me faisais de nos valeurs. » Compte qu’ils ont abandonné quand ils ont eu Volkswagen.  « Une erreur, estime Bogusky. Et c’est  là que j’ai commencé à avoir moins de fun…  On doit aimer ce que l’on fait.»

Je parlerai une autre fois de Burger King, parce que je veux arriver au reste. Pour commencer, vous pouvez avoir une bonne idée sur son point de vue, dans le vidéo suivant : [vimeo]http://vimeo.com/19688952[/vimeo]

Il y a aussi une belle explication et mise en contexte ici.

Et donc, Bogusky se décrit, encore et toujours, comme un capitaliste dans l’âme. « Le capitalisme est la force la plus puissante sur la planète, et a contribué à sortir des milliards de personnes de la pauvreté, dit-il. Mais il est en crise. » Il souligne aussi que le capitalisme est loin d’avoir été utilisé à son maximum par les démocraties. « Le capitalisme a besoin d’être démocratisé », dit-il. D’où son ambition de créer un contexte, et des initiatives, qui aideront les gens, encore plus, à « voter avec leurs dollars ». « Les grandes entreprises n’écoutent pas tellement les gouvernements, dit-il. Mais elles écoutent leurs consommateurs.»

Pour tenter d’y changer quelque chose, Alex Bogusky a lancé, de concert avec sa femme Ana et son associé Rob Schuham, FearLess Cottage qui tire son nom de l’endroit où il s’était établi depuis un moment à Boulder, au Colorado. Ceci après avoir quitté Miami, sa ville natale (et celle de son agence). « Et je me suis rendu compte que l’on est influencé par l’endroit où on vit, disait-il hier. Avoir un gros 4 X 4, par exemple, n’a plus de sens dans un endroit comme celui-là. En ce qui me concerne, Boulder a fait son œuvre. »

Le concept de Fearless Cottage, comme on l’explique ici, est d’aider des entreprises, et des entrepreneurs, dont le projet va dans le sens du « nouveau capitalisme » qu’il prône. Et, dans la lignée, on a lancé Common, que Bogusky décrit comme « une marque collaborative ».  « Collaboration is the new competition », est la devise adoptée par Alex Bogusky. Dans la présentation de Common telle que publiée en ligne, on la décrit comme « en partie communauté, en partie banc d’essai pour entreprises, et en parties marque collaborative ».  À noter que le nom de Common rappelle étrangement celui adopté, bien avant, par l’agence montréalaise Commun (qui s’appelait avant Provokat). Ce qui avait amené le fondateur, Martin Ouellette, à commenter cela sur son blogue, de façon fort pertinente.

Lors de sa conférence, Bogusky a comparé le modèle et les outils fournis par Common à une sorte de “Lego pour démarrer une entreprise avec un mission sociale ».  On veut partager, les modèles, les façons de faire, et, pour mieux y arriver, les agglomérer autour d’une sorte de branding.

Vous n’êtes pas sûrs de comprendre comment tout cela doit fonctionner ? Honnêtement,moi non plus. Même chose pour  bien des gens dans l’assistance hier, si j’en juge par certains commentaires sur Twitter. Soyez réconfortés:  d’après mes recherches, nous ne sommes pas les seuls. Mais, comme on peut le voir aussi, la plupart de ceux qui sont exposés aux idées et poussent l’exploration un peu plus loin sont plutôt séduits.  Il faut d’ailleurs dire que ce désir de remettre en question la surconsommation, et notre mode de vie effréné en général, gagne de plus en plus de terrain ces temps-ci, y compris aux États-Unis.  Plusieurs y voyaient même, en début d’année, une tendance marquante pour 2011, et c’est peut-être en train de se confirmer.

Alors… quelqu’un imaginera-t-il bientôt une adaptation version 2011 des paroles de L’Internationale ?  Ce pourrait être une belle façon de relayer, dans l’univers francophone, ces idéaux liés au « nouveau capitalisme » .

* Je crains que mon titre ne soit pas le meilleur, point de vue référencement. Mais je n’ai pas pu résister. D’une part, c’est une belle continuité avec le titre de mon billet précédent. Et puis, ceux qui me lisent de temps en temps ont pu constater que j’ai une certaine affection pour ce genre de formule. J’y vois en partie l’influence lointaine et tenace de mon ex-collègue et ex-rédacteur en chef, à Infopresse, Bruno Boutot. Et pour finir, c’est un trop beau clin d’œil, surtout dans le contexte, à Le communisme est-il soluble dans l’alcool?, qui est quand même une sorte de classique.

MAJ 10-03-11

Voici par ailleurs un compte-rendu de la conférence sur le site de DesignEdge Canada.

  1. Marie-Claude Ducas: Les idéaux d’Alex Bogusky | Pierre Duhamel - pingback on 11 mars 2011 at 23 h 09 min
  2. J’ai bien aimé lire vos deux billets sur Bogusky. Vous m’avez fait découvrir l’union d’éléments totalement opposés que je croyais impossible à réunir: l’humanisme et le capitalisme. Ou comme j’ai lu dans un des liens de votre texte: « socialistic capitalism » J’ai bien hâte de voir comment ce concept s’exprimera. Sera-t-il capable de redéfinir le concept de marketing social?

  3. Je suis enchantée de découvrir ce projet « Common ». Il me fait réaliser que nous sommes très habiles pour promouvoir les initiatives des autres, mais beaucoup moins pour les initiatives locales.

    Depuis un bon moment, l’institut Prospexia tente de réinventer le capitalisme en proposant des démarches concrètes et appuyées dans l’élaboration de nouveaux modèles de société. Ce projet tangible travaille avec une région du Québec pour redéfinir une société écohérente (écologie et économie en cohérence).

    Le CEFQ.com travaille de concert avec eux pour former une nouvelle génération de leaders et d’entrepreneurs qui pourront le bâtir ce Québec écohérent.

    Pour nous aider, nous travaillons avec une nouvelle plateforme de cocréation qui sera lancée sous peu dont l’objectif vise à organiser le savoir collectif au service de ce néocapitalisme.

    Quant à moi, non seulement j’y crois à ce néocapitalisme, mais il a inspiré un livre : Le nouveau « P » du marketing : la Présence. Depuis, je travaille à réaliser ce méga changement que notre société a urgemment besoin pour émerger du chaos et préparer un futur plus écohérent.

    Si tous ceux qui travaillent à changer le monde pouvaient enfin se rejoindre dans la même pièce, c’est magique ce qui pourrait arriver!

    Merci de nous éclairer sur l’extérieur…

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