Pourquoi nous avons tant aimé Mad Men

C’est ce dimanche 17 mai qu’est diffusé, sur la chaîne spécialisée AMC,l’épisode final de la série Mad Men. Sans générer d’immenses cotes d’écoute, la série aura eu une immense influence, notamment en générant un intérêt renouvelé pour les années 1960, entre autres dans la mode et le design. Elle a généré aussi une passion hors du commun parmi ses fans… J’avoue que j’en fais partie et qu’on peut même me classer mad-men-cast-season-4parmi les «fans finis». L’approche de la fin a, ces derniers jours, généré une avalanche d’articles, de commentaires, de rétrospectives…

Quels éléments expliquent la fascination pour cette série, que certains commentateurs sont même allés jusqu’à décrire comme une des meilleures séries télévisées de tous les temps? Voici les principales raisons, selon moi.

Le voyage dans le temps. Dès les premières minutes du tout premier épisode de Mad Men, c’est clair: tout ce qu’on nous montre, à propos de la société américaine, des façons de faire, de vivre, de penser va basculer. Le publicitaire Don Draper, personnage principal de la série, s’arrache les cheveux pour trouver un concept pour les cigarettes Lucky Strike. Tout le monde fume, on a encore le droit d’annoncer les cigarettes à pleines pages, et à plein écran… mais on commence quand même à se demander quoi faire, face à tous ces reportages qui commencent à paraître, sur les liens entre le tabac et le cancer. La ségrégation raciale n’appartient pas encore vraiment au passé: Draper,

qui a engagé la discussion avec son serveur (noir) afin de comprendre ses préférences en matière de cigarettes, vient se faire demander par le patron s’il «est en train de se faire importuner». La révolution féministe n’a pas encore eu lieu. Dans le cadre du travail, les femmes ne peuvent pas être autre chose que secrétaires, ou mannequins… Jusqu’à ce qu’elles se marient. Et alors, elles sont à la maison pour s’occuper des enfants. Le contexte et les rôles sont clairs, propres, nets… Mais au premier coup d’œil seulement, cela devient vite évident. Et, surtout, c’est évident que tout cela va bientôt basculer.

La précision historique. Tout au long de la série, les grands – et moins grands – événements de l’histoire américaine sont là: la campagne présidentielle Nixon contre Kennedy en 1960, la crise des missiles de Cuba, la mort de Marilyn Monroe, l’assassinat de Kennedy, celui de Martin Luther King, la guerre du Vietnam, les multiples contestations, le premier voyage d’astronautes vers la Lune… Ils ne sont pas seulement évoqués, mais imbriqués dans l’action, d’une façon intime et profonde. Et, tout ce qui a trait à l’histoire est impeccablement documenté. C’est le cas, par exemple, pour un des épisodes qui tourne autour d’un fameux combat de boxe opposant Mohammed Ali à Sonny Liston. La moindre allusion médiatique est correcte. Ainsi, un épisode se passe à la Saint-Valentin 1962, et les protagonistes se retrouvent à regarder, à la télévision, la fameuse visite de la Maison-Blanche donnée à la télé par

Jacqueline Kennedy… on peut être sûrs que cette diffusion a bel et bien eu lieu le 14 février 1962. Si cela vous intéresse, allez lire ce billet, accompagné d’une ligne du temps, sur les corrélations historiques dans Mad Men.

La musique. Le choix musical a été fait, lui aussi, avec une précision maniaque: encore une fois, dès qu’on entend une pièce musicale dans Mad Men, on peut être sûr qu’elle «colle» parfaitement au moment où se situe l’action de l’épisode. Et, ce qui ajoute à la réussite et à la fascination, c’est qu’on a évité les choix trop évidents. La trame sonore de Mad Menainsi que l’expliquait notamment cet article, n’a rien d’un palmarès des classiques des années ’60. On y trouve plusieurs chansons et morceaux plus ou moins oubliés aujourd’hui… alors qu’ils étaient bel et bien d’immenses «hits» à l’époque. Le côté imprévisible de certains choix vient aussi causer la surprise, et parfois même la magie. Bleecker Street, de Simon and Garfunkel, arrive de façon complètement inattendue, et en même temps incroyablement heureuse, à la fin d’un épisode épique entre Don Draper et Peggy Olsen, son ex-secrétaire devenue créatrice publicitaire… épisode qui avait pour toile de fond, justement, le combat Ali-Liston. Et à la fin de l’épisode où l’on apprend l’assassinat de Martin Luther King, le sirupeux Love is Blue de Paul Mauriat, qui accompagne le bruit des klaxons et des émeutes dans New York, offre un contraste à la fois étonnant, tragique et ironique.

Les autres repères culturels. Le mariage de Don Draper tient encore au début de la série… mais il a une maîtresse bohème, Midge, qu’il va visiter dans Greenwich Village, avant d’aller prendre le train de banlieue pour retrouver sa famille, à Ossining. Midge et ses amis vont initier Don, entre autres, à l’écoute de Miles Davis (et à l’usage de la marijuana)… Ils vont aussi amener Don au Gaslight Café, lieu emblématique du folk dans Greenwich Village (où l’on entend The Waters of Babylon, une pièce qui offre, là aussi une adéquation poignante avec l’action, où il est notamment question d’Israël et de l’identité juive). Toute l’action de Mad Men fait aussi référence à diverses œuvres qui marquaient le paysage culturel et les mentalités aux États-Unis: le livre Exodus de Léon Uris, Atlas Shrugged de Ayn Rand, des comédies musicales telles Bye bye Birdie, le film Rosemary’s Baby, etc.

L’humour… parfois noir. Difficile de faire mieux que ce billet, paru sur Slate en France, pour faire ressortir à quel point Mad Men est, en plus de tout le reste, une immense comédie, qui joue très efficacement tous les ressorts du genre. Les dialogues découpés au scalpel et finement ciselés y sont pour beaucoup. Le personnage de Roger Sterling, patron de l’agence, cynique, coureur sans vergogne, alcoolique avoué et immense pince-sans-rire, est le roi des répliques assassines et des one-liners iconoclastes. (Un aveu ici: c’est mon personnage préféré. Du moins, avant qu’il ne se laisse pousser la moustache dans les derniers épisodes, que je n’ai pas encore vus…) Certains épisodes sont des chefs-d’œuvre d’humour noir. C’est le cas de l’épisode de la tondeuse (sixième épisode de la saison 3), qui, dès sa diffusion, est devenu un classique instantané de la télé.

Les drogues. L’alcool et les cigarettes, d’abord, sont pratiquement des personnages à part entière dans Mad Men et interviennent dans une foule d’aspects. La marijuana et le LSD vont faire irruption, à point nommé dans le contexte culturel. D’ailleurs, qui est le personnage qu’on verra, le premier, consommer du LSD? C’est une autre surprise dont la série a le secret. Et d’ailleurs, si vous n’avez pas encore vu Mad Men, je vous laisse le découvrir…

Le sexe. On en a beaucoup parlé, et il en est beaucoup question dans Mad Men…. Mais pas de façon tellement essentielle, en fin de compte. Ni si intéressante que cela. Le sexe sert, en fait, de ressort pour mettre en relief divers autres aspects: les relations de couple, les tensions professionnelles, la place et le rôle des femmes…

Les femmes Joan Holloway, la voluptueuse secrétaire, maîtresse du patron, dont on va réaliser au fil des épisodes qu’elle a tout un cerveau sous ses cheveux roux; Betty Draper, la future ex-femme de Don, qu’on va aimer détester pendant une bonne partie de la série; et, surtout, Peggy Olsen, la jeune secrétaire fade et naïve (au début), qui va se hisser jusque dans les hauts rangs de la création publicitaire… Tout tourne en principe autour de Don Draper, mais ce sont les femmes qui font avancer l’action et lui donnent tout son intérêt et son relief. Ajoutons Megan, – Montréalaise d’origine, en plus –, autre secrétaire qui deviendra créative, avant de décider de devenir actrice, que Don va épouser en secondes noces… Il y en a d’autres aussi, dont Faye Miller, grande spécialiste de la recherche en consommation, qui impressionne tout le monde par sa compétence. Ce sont les femmes qui, dans Mad Men, permettent de marquer l’évolution des mœurs et des mentalités à laquelle on assiste.

Les robes. Ah, le “look” des personnages dans Mad Men!… De cela aussi, on a beaucoup parlé. En fait, c’est même une des rares choses qui me porteraient à mettre un bémol, côté vraisemblance: les gens qui bossaient dans les agences de pubs étaient-ils vraiment si bien habillés? Surtout les femmes… Qu’importe, c’est une source inépuisable de plaisir, d’un épisode à l’autre.

Ah oui, il y a aussi la pub… Je me réserve un billet ultérieur, consacré à la pub telle qu’on la voit dans Mad Men: qu’est-ce qui correspond à la réalité, est-ce que cela se passait de façon semblable ici, qu’est-ce qui a changé, etc. Mais un mot, déjà sur le coup d’œil jouissif qu’offre la série, par rapport à tout ce qui marque la vie d’une agence de publicité: les défis créatifs, les dilemmes, les tensions avec les clients, les frustrations des publicitaires… et les fameux «pitches». Dans Mad Men, les pitches donnent lieu, à la fois, à des numéros d’acteurs parmi les plus remarquables et à des réflexions parfois poignantes sur ce qui nous atteint, nous fait vibrer… et ultimement est susceptible de nous faire acheter.

Et vous, si vous avez regardé Mad Men, qu’est-ce qui est venu vous chercher en particulier?

MAJ

En ce qui a trait à la musique: on pourrait multiplier les ajouts, mais… Je m’en voudrais de ne pas souligner, en particulier, Both Sides Now, de Joni Mitchell, dont la remarquable interprétation par Judy Collins arrive à la toute fin de la Saison 6, qui se concluait par une chute et une prise de conscience particulièrement douloureuses pour Don Draper.

Laisser un commentaire