Is Google making us stupid? – Carr. À quoi bon apprendre ce qui est dans les livres, puisque ça y est. – Guitry

Une des belles peurs que l’on nourrit depuis qu’internet est apparu, c’est que nous finissions tous par devenir débiles, à force de trop compter dessus. Une peur que la montée de Google a accentuée, et cristallisée. Et qui a été résumée de façon frappante dans l’article : Is Google making us Stupid ? What the Internet is doing to our brains, paru en juillet 2008 dans Atlantic Monthly, sous la plume de Nicholas Carr, auteur et chroniqueur spécialisé dans les questions de technologie,

Couverture de The Atlantic en 2008. Mais au fond, pourquoi Google nous rendrait-il stupides?

de culture et d’économie. Propos qu’il a exploré encore plus en profondeur dans son livre The Shallows : What the Internet is doing to our brains« Je ne pense plus et, surtout, je ne lis plus comme avant. J’ai déjà trouvé facile de m’immerger dans un livre ou un long article. (…) Plus maintenant. Ma concentration s’effiloche après deux ou trois pages : je m’agite, perds le fil, me cherche autre chose à faire… », écrivait entre autres Carr dans The Atlantic.

Tout le monde se reconnaît, n’est-ce pas ? Et on s’est mis à faire état, de plus en plus, de recherches scientifiques qui démontraient que internet, et tout ce qui s’y rattache, change notre façon de lire, d’écrire et de penser.  (Comme l’ont fait d’autres technologies, de l’imprimerie à la simple machine à écrire.). J’avais déjà parlé de cette menace du manque d’attention et de l’éparpillement, dans un éditorial d’Infopresse en 2008.  Le chroniqueur Nicolas Langelier, toujours dans Infopresse, revenait aussi, en 2011, sur ce qu’il appelait Notre permadistraction.

Mais j’avoue qu’à ce moment, de mon côté, j’avais déjà commencé à changer d’idée : n’y a-t-il pas là plutôt, d’abord et avant tout, une espèce de crise d’adaptation aux changements, par laquelle un peu tout le monde est en train de passer? Et c’est vrai qu’il faut être critiques par rapport aux changements, et tâcher de ne pas devenir esclaves des technologies. Mais quand on y pense… Est-ce si nouveau, d’avoir l’impression d’être submergés par tout ce qu’il y a à lire, à voir, et tout ce qu’il y aurait à faire ? Rappelons-nous que c’est en 1970 qu’un certain Alvin Toffler a publié « Le choc du futur »… Et puis, tout le monde est-il en train d’oublier l’époque où on feuilletait en vitesse d’immenses piles de journaux et de magazines, avant de les mettre au recyclage, avec le sentiment qu’il « fallait » les avoir lus ?

Avant, on se sentait quelque part obligés d’avoir parcouru au moins le quotidien X ou Y, le magazine Z… ou à tout le moins, de faire semblant. Idem pour certains livres. Mais pensez-y un peu : est-ce que, avant internet, vous lisiez vraiment davantage les journaux et les magazines d’un bout à l’autre ? Est-ce que vous passiez tellement plus de temps dans la plupart des articles ? Pas sûr…

La montée d’internet et la multiplication des plateformes n’a pas seulement morcelé le temps et le lectorat. Elle nous a aussi autorisés à laisser libre cours à l’insatisfaction qu’on éprouve depuis longtemps par rapport à bien des médias « traditionnels », au manque d’intérêt et de pertinence de beaucoup de leurs contenus. Et elle nous aide à nous libérer de l’espèce de culpabilité par rapport au fait de « ne pas prendre le temps » de les lire. Depuis l’arrivée d’internet, on avoue – à soi-même d’abord, puis à tout le monde -, que non, on ne lit plus tel journal, tel magazine, et qu’on n’a pas le temps de tout lire.

Quand à la peur que « Google nous rende stupide », elle vient du raisonnement suivant : puisqu’on peut tout trouver, en quelques clics, sur Google, on ne se donne plus la peine de rien connaître, et de rien mémoriser. Et à terme, on risque l’atrophie de certaines fonctions de notre cerveau. Et on sera bien attrapé si un jour le réseau tombe en panne…

Par rapport à cela, m’est revenue en mémoire une citation de l’auteur français Sacha Guitry (1885-1957), qui m’a toujours fait rire : « À quoi bon apprendre ce qui est dans les livres, puisque ça y est. » Avec internet (et Google), c’est simplement la même question qui se pose, non ?

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