Sauvons le Plateau… parlons-en moins

Je sais, après tel un titre, je m’empresse quand même d’écrire un billet sur le sujet. Je n’en ai jamais été à une contradiction près. Mais il y a trop de choses vraiment fatigantes à propos de tout ce qui se dit et s’écrit à propos du Plateau. Et puis, je suis sûre que bien des habitants du Plateau seront d’accord avec moi.

Le Plateau Mont-Royal: incomparable et inégalable...

Le dernier magazine Le Trente, – le magazine des journalistes –  dans un dossier consacré à la « montréalisation de l’information », publie une entrevue avec l’auteur du blogue La clique du Plateau, et aussi un article montrant qu’une quantité disproportionnée de journalistes habite sur le Plateau Mont-Royal à Montréal. Le tout a été commenté par Mario Dumont et Marie-France Bazzo lors de leur chronique à l’émission de Paul Arcand au 98,5FM, puis à celle de Christiane Charrette à Radio-Canada. Et ce dernier débat a été commenté par Pierre Foglia dans La Presse samedi dernier. Mais ce ne sont que les développements les plus récents de cette saga. Et ce n’est sûrement pas fini.

...en toute saison

En bref, pour ceux qui auraient manqué  l’essentiel: le Plateau Mont-Royal à Montréal, quartier autrefois ouvrier et populaire, devenu très « in » depuis, est maintenant décrié par certains comme étant le siège d’une sorte de dictature médiatico-culturelle. En gros, il appert qu’au Québec, une quantité disproportionnée de journalistes, d’artistes et autres gens influents dans la culture et les communications, habitent le Plateau ou ses environs. Et donc, que les médias accordent un espace et une attention disproportionnée aux événements et enjeux liés à ce secteur; et que l’actualité finit par être dominée par les débats et les opinions qui préoccupent avant tout les gens de ce quartier. D’où l’expression « Clique du Plateau ».

Ce qu’il y a de fatiguant là-dedans? Pour commencer, voilà un autre bel exemple du genre d’enflure – médiatique, entre autres –   dont on a le secret au Québec. On a vraiment le chic, ici, pour les débats sur des sujets très variables – certains importants, d’autres incroyablement anodins, certains sur des questions d’intérêt public, d’autres touchant des sphères très privées – qui enflent, dérapent, et finissent par polariser complètement les opinions, excluant peu à peu tout discours sensé et un peu constructif. Des exemples ? L’allaitement maternel. L’échangeur Turcot. L’usage (ou non) de l’automobile, avec tout ce qui s’y rattache : le développement et l’usage des transports en commun, le développement urbain, les vélos et les pistes cyclables, etc. Tout ce qui touche, de près ou de loin, à des questions d’argent : les frais de scolarité, les tarifs pour les garderies, les façons de créer de la richesse… Le rôle des parents dans la réussite scolaire, débat dopé par une récente déclaration de notre premier ministre Jean Charest.

Et puis, le Plateau Mont-Royal. Super quartier de Montréal – incomparable et inégalable quant à moi – mais dont l’histoire et le récent pattern de développement n’ont, somme toute, rien de si exceptionnel. Un peu partout en Europe et en Amérique du Nord, on retrouve ainsi des quartiers, autrefois habités par les masses laborieuses, qui se sont peu à peu « gentrifiés »… ou, selon la savoureuse expression de mon ami Claude Marcil, « smattifiés » (i.e. habités par « des smattes »). Comme exemple similaire, à New York, on peut penser à l’East Village et au Meatpacking District. À Paris, il y a le fameux Marais. Et à San Francisco, depuis quelques années, peut-être le Mission District. Et j’imagine que des lecteurs éclairés et voyageurs pourraient me fournir d’autres exemples, dans des endroits comme Seattle, Boston, Berlin…

Et Montréal, donc, a son Plateau. Qui vit ce que vivent, partout sur la planète, tous les quartiers en « smattification ». À savoir : une transformation – en général plutôt heureuse au début – suivie d’une forte hausse de popularité, d’une flambée des prix, et, pour finir, une sorte de crise d’identité. Parce que les premiers avant-gardistes qui s’étaient installés dans un tel quartier sont bientôt suivis par d’autres, attirés eux aussi par son caractère particulier, sa densité urbaine, son nouvel aura « hip », ses nouveaux commerces, restos et bars intéressants… Et bien vite, pour habiter là, il ne suffit plus d’avoir le goût et le flair; il faut pouvoir y mettre le prix.

On se retrouve un peu avec les mêmes problèmes qu’avec les destinations « cool » et relax en voyage. J’avais déjà évoqué cet éternel problème:  si trop de gens y vont, ce n’est plus « cool » ni « relax ». C’est plus cher, et ça devient « touristique ». Comment faire pour qu’un quartier urbain, avec tout ce qu’ils a de vivant, d’authentique et d’intime, ne devienne pas uniquement « in » et artificiel  ? Comment éviter de le voir se « matantiser », se « saint-sauveuriser »? Sans compter le risque de se retrouver dilué et dénaturé : avez-vous noté que la définition du secteur « Plateau » semble s’être considérablement élargie ? Ce sont des enjeux importants dans un quartier, et dans une ville. Et c’est un problème quasi-insoluble: dès qu’on se met à vendre, à «brander » un quartier ou une destination, on risque de les voir changer.

Jean-François Dumas, président de Influence Communications: l'expression "La Clique du Plateau" est née à.... Québec

Mais, je parlais d’enflure et de dérapage… Quelqu’un pourra-t-il m’expliquer par quel tour de passe-passe une telle question s’est muée en débat sur la place de la «gauche » et de la « droite » au Québec ? Et comment les membres de la fameuse « Clique » se sont vu assigner le rôle de porte-étendard des idées de « gauche » ? (Whatever it means, d’ailleurs… On reparlera une autre fois de ces questions de « gauche » et de « droite »). L’ami Jean-François Dumas, patron d’Influence Communication, qui monitore à peu près tout ce qui se fait dans les médias au Québec (et pas mal de choses hors du Québec d’ailleurs), m’a un peu éclairée.  « On retrace la première apparition de l’expression « Clique du Plateau » en 2004, et sur les ondes de certaines radios de Québec qui faisaient ce que l’on appelait la radio-poubelle. On avait commencé par parler de la dictature de Montréal dans les médias, puis on a sorti l’expression « Clique du Plateau » », explique-t-il. Expression reprise par la suite de tous les côtés, y compris par ceux qui s’ennorgueuillissent d’appartenir à cette fameuse « Clique ». Le tout a culminé avec l’apparition de ce blogue carrément intitulé La Clique du Plateau, lancé à l’automne 2008, et qui s’amuse allègrement de certains de nos travers médiatiques au Québec avec une réjouissante ironie. « L’emploi de l’expression atteint des sommets entre 2008 et 2010, confirme Jean-François Dumas. Au bout du compte, c’est une invention médiatique… qui permet de vendre de la copie. Et ça va s’essouffler. »

Merci, Jean-François. Et c’est comme cela, sans doute, que la « Clique du Plateau » est peu à peu devenue synonymes d’intellos, de snobisme, et d’une certaine façon de façon de penser associée ce qu’on appelle « la gauche ».  « Ailleurs dans le monde, Le Plateau est un élément de promotion touristique pour Montréal, poursuit Jean-François Dumas. Les reportages en parlent comme d’un endroit cool, qui a une saveur particulière, où l’on peut s’éclater, bien manger… » Et au Canada anglais ? « C’est beaucoup du folklore. On parle des excentricités du maire d’arrondissement Luc Ferrandez, des histoires autour du vélo et de la circulation automobile… Le quartier est vu comme très folklorique et bizarre. »

Vous me trouverez peut-être bizarre aussi, mais c’est ce dernier point de vue que je trouve le plus réconfortant, ou, en tout cas, plus près de la vraie personnalité du Plateau. Sauf que l’on risque de perdre ça aussi.

Maintenant, sur le Plateau, on commence à se prendre au sérieux.

Et l’esprit de rébellion teinté de fantaisie et d’excentricité, qui a longtemps été l’ADN du quartier, est en train de faire place à  « un discours »: ce qu’il faudrait faire pour être écolo, respecter la planète, sa santé, celle de nos enfants, etc. Et on est en train de donner au Québec (ou à tout le moins à Montréal) une indigestion pour tout ce qui touche au vélo en ville. (#jeudiconfession : je suis TANNÉE d’entendre parler du Bixi). Pourtant, un précurseur comme « bicycle Bob Silverman » (un des fondateurs du Monde à bicyclette) n’y allait pas forcément avec le dos de la cuiller quand il s’agissait de revendiquer plus de place pour les cyclistes. Et il a fait énormément pour tout ce qui existe aujourd’hui.

Mais là, il serait peut-être temps de prendre un petit break.

Chers amis des médias et du Plateau (et quartiers adjacents)  : roulez fièrement sur votre vélo, compostez comme vous l’avez toujours fait, élevez des poules si ça vous chante, continuez d’utiliser le transport en commun et de faire toutes vos courses à pied… mais ne vous sentez surtout pas obligés de faire un reportage ou une chronique là-dessus. Et, aux autres, qui en ont marre du Plateau et de tout ce qui s’y rattache : parlez d’autre chose…

Vive Montréal, vive le Plateau… et reparlons de tout ça dans un an.

  1. Et encore une invention québécoise (lire ici ville, non province) qui fait jaser, réfléchir, palabrer, s’obstiner, blogger et chialer mes bons amis Montréalais. Excellent ! Car la vérité, la vraie, je vais vous la dire : la « clique du plateau » est une invention de mon « buddy » Régis, qui, pendant que vous tergiversez, fais avancer SA ville. Ok, en zigzag quelques fois, mais elle avance quand même… Quel stratège ! Je vais définitivement faire des recherches sur ses origines : y’a du petit corse à bicorne, dans cet homme… Tout ça c’est comme ISO, qui, c’est bien connu, a été inventé par les Européens pour ralentir la progression de firmes américaines. Mais j’y reviendrai, comme l’écrit ci-haut ma bloggeuse préférée…

  2. Oups, fait, pas fais ! Je l’aime bien, mais je le vouvoie encore, question de garder une certaine distance…

  3. Pourquoi tant de brouhaha? Jalousie? Envie? Hargne? Il ne me viendrait pas à l’idée de me moquer de la ville Québec parce qu’on y trouve la plus forte concentration de fonctionnaires qui ne fonctionnent pas. Pourtant c’est paradoxalement dans cette tranquille cité blanche pure laine que se tient le pouvoir de décider du destin du reste de la province et d’une ville aussi animée, cosmopolite et vibrante que Montréal… Finalement, je me demande si je ne vais pas me moquer un peu.

  4. Môman!!! Au secours!!! J’ai quitté Mtrl et son nombril, le plateau, au printemps, apres 30 ans. Comme tout ce dont j’entends parler à propos de mon ex-métropôle, votre texte éclairant me conforte dans mon choix. (P. S. — Les poules, ça fait beaucoup de déjections non compostables, et ça ne sent vraiment pas bon, même à la campagne. Imaginez sur les trottoirs défoncés de la rue Mentana en juillet par 35 degrés!)

  5. Buenos Aires aussi possède son Plateau dans un grand « barrio » de la Capitale; Palermo mais précisément dans 2 zones; Palermo Soho et Palermo Hollywood.

  6. Excellent article, très bien écrit. Sauf que je crois, humblement que vous faites fausse route.

    L’histoire du Plateau est à mon avis, un prétexte. Le fond de l’histoire est purement journalistique.

    On a le magazine Le Trente, publié par la FPJQ qui fait un reportage sur la concentration des journalistes du Québec. Il y voit une concentration médiatique, mais surtout un Montréalisation de l’information.

    Pour moi, ce que ça veut dire, c’est que, par la bande, Le Trente traite un peu les journalistes de paresseux. Il se demande comment se fait-il que des sujets insignifiants -mais Montréalais- (parlons de la fameuse poule) fasse la une alors qu’il se passe des choses incroyables ailleurs au Québec (parlons par exemple, du déménagement du centre-ville de Malartic en Abitibi pour cause de creusage d’une mine) dont on entend à peine parler.

    Simple. Les journalistes sont à Montréal. Les sujets montréalais font la une. Incapable de voir ce qui se passe au-delà du fleuve, ils se trifouillent le nombril et transforme la mousse qu’ils y trouve en pépite d’or.

    Les journalistes sont piqués. On ose les critiquer. On utilise un clown masqué qu’ils méprisent pour renforcer le clou. Alors ils réagissent. Ils méprisent. Ils justifient.

    Vous voulez vendre des copies? Pas besoin de scandales. Parlez des journalistes (en mal, c’est encore mieux). Rien de mieux que ceux qui engrossent les journaux pour gonfler une balloune imaginaire.

  7. Le blogue de Josée Blanchette » Blog Archive » La pensée unique - pingback on 22 novembre 2010 at 9 h 32 min
  8. Un petit détail très important échappe à cette analyse… À qui profite le crime?

    Après avoir cherché pendant des semaines une maison ou un condo sur l’Ile de Montréal, il me fût aisé de constater que le Plateau était devenu une trappe immobilière qui prenait les acheteurs pour des véritables « poissons ». Pas de stationnement, vieux immeubles défraîchis qui tiennent les uns sur les autres. Des tonnes de problème de fondation et de voisinage pompeux et chialeux… avec en prime une rue Mont-Royal impraticable, même à pieds.

    Les prix demandés sont indécents, injustifiés et pourtant, des fous le paient!!! Ah! les agents immobiliers riches de notre folie collective! Ils ne se plaignent pas trop de nos envies de vivre les uns sur les autres. Tant qu’à moi, la clique du Plateau peut bien vivre entre elle… moi je préfère créer un véritable oasis de paix dans un quartier qui offre encore des perspectives du style Plateau dans ses meilleurs années…. et quel est ce quartier? Allons donc… je ne ferai pas l’erreur de le dire! :)

    Voilà pour l’expression libre… bravo Marie-Claude!

  9. […] en revenir au conformisme, il s’infiltre également sur le Plateau. Lisez Marie-Claude Ducas à ce sujet sur le quartier le plus in en Amérique du Nord après Soho (NY) ou Fremont (Seattle). […]

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