Pierre Foglia : le premier blogueur du Québec

Beaucoup s’étaient posé la question, en constatant son absence depuis un moment dans les pages de La Presse (et sur La Presse +). Pierre Foglia nous l’a confirmé, dès le début du texte qu’il signait samedi dernier :  « Je suis à la retraite ».

PierreFogliaIl reviendra – du moins c’est ce qu’il nous indique -, entre autres pour

nous parler de livres. Mais plus dans le format qui nous était familier depuis tant d’années: celui de la chronique régulière, trois fois par semaine… sauf quand il lui arrivait de faire faux bond. Sauf, aussi, quand il était en train de préparer un de ses grands reportages, qui, eux aussi, ont fait époque. Parfois à l’international, mais aussi sur des enjeux très québécois, et très proches de nous. Des reportages dont on n’a pas toujours réalisé à quel point ils étaient exceptionnels.

Pierre Foglia a inauguré un type de journalisme que plusieurs ont par la suite tenté d’imiter, sans jamais vraiment y parvenir.  La partie la plus visible, celle qui attirait davantage l’attention, c’était son style très personnel, sa façon d’employer le « je », sa façon d’émailler ses textes d’expressions bien à lui. Un style qui faisait parfois oublier toute la rigueur et le travail journalistique de fond auquel il se livrait. Mais un style, aussi, qui donnait à ses reportages un impact que d’autres n’atteignaient jamais. En nous faisant partager son regard sur les sujets qu’il abordait, il avait le don de rendre ces sujets plus vivants, et plus concrets, que ce qu’arrivaient à faire bien d’autres journalistes. C’était vrai pour ses reportages dans des zones chaudes de la planète, telles le Liban ou l’Irak, mais aussi pour des enjeux comme le système judicaire. Par exemple, à la fin des années 80, sa série sur l’histoire d’un couple en instance de divorce qui se déchirait via les tribunaux (le père accusant la mère d’agression sexuelle sur leur petite fille), réussissait à mieux faire

saisir les enjeux liés à la justice et à la Direction de la protection de la jeunesse, que des tonnes de reportages judiciaires « classiques ».

En fait, cela fait un moment que ça m’avait frappée: Foglia a tenu un blogue, bien avant que le terme existe. Dans sa façon d’écrire, et d’interagir avec ses lecteurs, il mettait en pratique les façons de faire qui ont été, par la suite, louangées chez les meilleurs blogueurs.

Il a développé une voix très personnelle, et il est arrivé à l’imposer. Il a développé un public qui y adhérait. Et « adhérer », ici, ne veut pas forcément dire toujours être d’accord… Mais il arrivait à nous faire partager les évènements, et l’actualité, à travers son regard à lui. Il interpellait directement ses lecteurs, et interagissait avec eux : son fameux « courrier du genou », c’est la version «1.0» des commentaires dont les blogues ont permis la multiplication par la suite. Même chose pour ses fameuses listes qu’il dressait, en demandant à ses lecteurs quels étaient les livres qui avaient été les plus importants pour eux. C’est d’ailleurs l’objet de sa chronique de samedi dernier. Idem quand il faisait des chroniques à partir de témoignages de lecteurs, ou quand il leur demandait de l’inviter à aller les voir, puis choisissait de rendre visite à certains. On pourrait même dire que Foglia, déjà, interagissait avec ses lecteurs, plus que bien des blogueurs ne le font aujourd’hui.

Il a inauguré ici une façon plus décoincée de faire du journalisme. Sans pour autant en abandonner la rigueur, et le travail forcené, indispensables à tous les reportages de qualité. Je me souviens de l’avoir entendu, à un atelier de la Fédération professionnelle des journalistes (FPJQ) – genre de sortie très rare pour lui-, parler de son « obsession d’être lu », du nombre de fois qu’il se relisait, afin d’être sûr que le lecteur comprendrait vraiment ce qu’il avait voulu transmettre et, surtout, qu’il ne voudrait pas abandonner la lecture avant la fin.  Évidemment, on a aussi vu pousser, à travers les époques, des armées de « Foglia-wannabe », qui tentaient maladroitement d’imiter son style et sa façon d ‘ « écrire personnel », mais en oubliant tous les autres principes… Mais on ne peut pas en vouloir à Foglia pour ça. D’autant plus que, pendant des années comme chargé de cours à l’UQAM, il a quand même fait sa part pour tenter de limiter les dommages, en tentant d’inculquer aux aspirants-journalistes quelques-uns de ces fameux principes de base.

C’est loin d’être seul de ses nombreux paradoxes.

Foglia s’est retrouvé à « bloguer », si on peut dire, dans un média de masse. Une chose devenue impensable aujourd’hui. Même pour les blogueurs qui rejoignent un très grand nombre de lecteurs, c’est différent: les lecteurs sont gens qui ont choisi de suivre, qui ont trouvé des affinités, des intérêts communs, un type de points de vue auxquels ils peuvent s’identifier. D’ailleurs, c’est aussi ce que Foglia aurait souhaité au départ. Comme le rapportait ce remarquable portrait signé par Louise Gendron dans L’actualité en 1993, Foglia « a longtemps supplié qu’on cache sa chronique dans les petites annonces ou la page nécrologique. » Mais non : il était bien en vue, en page A5 d’un journal distribué à 200 000 exemplaires… Il pestait d’ailleurs lui-même régulièrement contre cet état de fait, qui amenait sa chronique à être fréquentée par quantité de lecteurs qui, à ses yeux, « n’avaient pas d’affaire là. »

Mais c’est ainsi qu’on s’est retrouvés avec un spécimen unique et improbable : un blogueur qui rejoignait la masse. Et qui, à la longue, a fini par intéresser – on pourrait même dire convertir – un public qui, au départ, était loin d’être acquis et naturel pour lui.

J’ai souligné à quel point nombre de jeunes journalistes avaient pris Foglia comme modèle, même si c’était pour tenter de reproduire un peu à tort et à travers ce qu’il faisait. Maintenant, je me dis qu’il pourrait, qu’il devrait, servir aussi de référence et d’inspiration à tout ces gens qui se mettent en tête de bloguer, qui veulent partager leurs connaissances et leurs idées avec le public. Pas pour qu’ils se mettent à écrire avec la prétention d’être « le prochain Foglia ». Mais pour développer un sens de ce qu’on peut faire, quand on veut intéresser des lecteurs, les toucher, et interagir avec eux. J’écris ça parce que, il n’y a pas longtemps, j’ai eu à expliquer ce genre de choses à des blogueurs. Et, parmi les exemples que j’ai naturellement été portée à citer, il y avait, justement, Pierre Foglia.

Et vous, qu’en pensez-vous ? Avez-vous fréquenté Pierre Foglia pendant toutes ces années?  Vous ennuyez-vous de ses chroniques et de ses reportages? Vous a-t-il inspiré? Ou encore dérangé, choqué? Ou tout cela à la fois?

Y a-t-il des chroniques de lui, ou des reportages, qui vous ont marqué, ou dont vous vous souvenez particulièrement ?

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