Rumeurs, révolte et indignation : le monde a besoin de méchants

Quelque chose m’a frappée, autour de cette  fameuse rumeur qui avait circulé il y a environ deux semaines, comme quoi  un manifestant serait mort, ou à tout le moins plongé dans un coma grave, après avoir été matraqué par des policiers. Rumeur que les médias sociaux, c’est sûr, ont contribué à amplifier. Mais ceci dit, médias sociaux ou non, la mécanique de base de la rumeur n’a pas changé. Pour ceux qui cela intéresse, je conseille de lire (ou de relire) le livre : Rumeurs : le plus vieux média du monde, par Jean-Noël Kapferer, grand spécialiste en la matière. C’est ce que je suis en train de faire. Et, encore une fois, je suis frappée de constater comment les mécaniques de base restent les mêmes. J’y reviendrai peut-être plus en profondeur, quand je trouverai le temps.

Ah, qu'il fait bon s'indigner envers la police...

Mais en attendant, il y a autre chose qui me frappe depuis le début de toutes ces manifs… et même, quand on y pense, depuis la naissance des fameux mouvements Occupy/Occupons : c’est ce besoin de s’indigner, se révolter, et pouvoir dire qu’on est persécutés ou, à tout le moins, manipulés par des forces supérieures ou des pouvoirs occultes.  Dans le cas du faux mort, les protestataires habituels se sont déchaînés sur leur compte Facebook et  Twitter. Plusieurs reproduisant  un « avis de recherche » publié par le site VeriteJustice.com sous le titre «911: policier criminel recherché», selon lequel «(un manifestant) aurait subi un grave traumatisme crânien, possiblement des dommages permanents au cerveau, et aurait eu la moelle épinière sectionnée au niveau des vertèbres», et relançant sans relâche le Service de police de la Ville de Montréal sur son compte Twitter, et remettant en question la crédibilité des informations à chaque démenti.

Souvent, dans des cas semblables, c’est comme si on avait besoin d’un martyr à se mettre sous la dent; de quelque chose qui montre hors de tout doute que ceux qui représentent le pouvoir et l’autorité d’une façon ou d’une autre (l’armée; la police; et même le gouvernement) sont de complets écoeurants. Alors que oui, l’abus de pouvoir existe, et oui, les pouvoirs doivent être tenus à l’œil. Mais on est quand même à des années-lumières  du Chili de Pinochet, de l’URSS de Staline (ou même de Brejnev); et de la répression de la place Tian’anmen.  D’où nous vient ce désir de pouvoir nous comparer à ceux dont le sort est tellement moins enviable que le nôtre?

C’est un peu le même genre de moteur qui en a poussé certains à vouloir parler de « printemps québécois » et de « printemps érable », pour évoquer les révoltes dans les pays arabes… Comme si on enviait ceux qui, là-bas, ont de telles raisons de se révolter. Lors de l’émission du 15 mars dernier de Bazzo.tv, à Télé-Québec, le metteur en scène Dominic Champagne racontait avoir eu une illumination alors qu’ils se trouvait en Espagne quelque temps auparavant quand « Los Indignados » étaient sortis à Madrid : « Je venais de découvrir ce que c’était que d’être indigné (avec le mouvement d’opposition aux gaz de schiste), et j’étais extrêmement heureux de me retrouver contemporain de cette énergie-là », disait-il entre autres. Mais comment en vient-on à envier ainsi « l’énergie » qui prévaut dans un pays aux prises avec de tels problèmes, avec des taux de chômage qui dépassent les 20%, et frôlent même les 50% chez les jeunes ? Pourquoi ce premier réflexe? Plutôt que, par exemple, celui de regarder ce qui va mieux chez ici, et de tenter de voir quels pièges il faudrait éviter pour ne pas se retrouver dans le même pétrin que les autres ? Et puis oui, voir les excès, les abus, les dérapages dans notre propre société, mais sans forcément s’inventer des drames hors de proportion?

J’imagine que les explications relèvent, non seulement de la sociologie, mais aussi de la psychologie, et même de la psychanalyse. Si vous avez des pistes,  s’il-vous-plaît, éclairez-moi.

  1. Intéressantes vos réflexions, mais il aurait été intéressant que vous trouviez un martyr autofabriqué qui est contre les « les protestaires habituels ». Gilbert Lauzon par exemple, qui se plaint constamment de recevoir des injures et des menaces — comme s’il était le seul… Parions que même Amir Khadir arrêté et menotté parce qu’il marchait dans la rue, réussira à ëtre plus sobre dans ses lamentations.

  2. Marie-Claude, je te prends au mot, et je vais essayer de t’éclairer. Depuis une génération, presque que la totalité des bénéfices de la croissance économique a été accaparée par les 1% plus riches. Ce n’est pas un « point de vue de gauche », c’est une donnée économique. Pendant ce temps, les Boomers et les X auront vécu au-dessus de leurs moyens en léguant leur dette aux Y. Ce n’est pas un « point de vue des étudiants », c’est aussi une donnée économique. Il y a là une injustice et une matière à indignation que même un Alain Dubuc reconnaît (ref: son édito d’aujourd’hui). Quand tu écris « manipulés par des forces supérieures ou des pouvoirs occultes », tu nies que cette indignation peut être justifiée. Je ne te demande pas d’être d’accord, d’être toi-même indignée, mais au moins respecte l’indignation de ceux qui le sont. Ça te permettra de comprendre ce qui se passe dans la rue sans avoir à ridiculiser ceux qui subissent le coût de leur indignation en imaginant que dans le fond, ils cherchent à être des martyrs (hé, on est alors justifé de leur taper sur la gueule, non?). L’énergie que tu ne comprends pas prends son origine dans le sentiment d’impuissance du citoyen indigné, seul dans son salon… et qui se rends compte, en descendant dans la rue, qu’il n’est pas seul, que plusieurs de ses voisins partagent ses émotions, et qu’ensemble ils ont l’espoir d’améliorer les choses. C’est pourquoi les manifestations sont habituellement si festives (à part quand un connard décide de briser une vitre ou que la police met fin au party).

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