Rubans roses, cancer et surenchère médias: quand même, calmons-nous

Le film « L’industrie du Ruban Rose » (« Pink Ribbons, Inc. »), réalisé par Léa Pool, prend l’affiche aujourd’hui.  Et depuis les premiers visionnements de presse, il y a environ deux semaines, on a assisté, entre chroniqueurs, à une sorte de surenchère dans l’indignation pour dénoncer le phénomène du « marketing de cause » et ses excès, qui sont abordés dans le documentaire. Dans La Presse, Nathalie Petrowski a salué ce « pavé jeté dans la mare rose », alors que son collègue Marc Cassivi en avait parlé comme d’un film qui « dénonce l’opportunisme et l’hypocrisie d’entreprises qui profitent de la lutte contre le cancer du sein pour mieux se mettre en valeur ».

Et puis, dans Le Devoir, Fabien Deglise dénonce comme « une désolante marchandisation de la compassion » toute initiative de communications et de marketing associée à une cause: 

L'industrie du Ruban rose

Le film "L'industrie du ruban rose", qui prend l'affiche, a donné lieu à une sorte de surenchère dans l'indignation parmi les commentateurs et les critiques.

« Ruban rose, moustache en novembre, logo sur pizza surgelée en appui aux maladies du coeur, campagne de blabla au cellulaire «pour la cause», les conséquences de ces peurs et impuissances sont désormais visibles un peu partout, et pas seulement dans le champ de cette nouvelle philanthropie qui fait plus sourire les actionnaires que les malades, écrit-il. La cause environnementale fait aussi un très bon usage de ces paradoxes pour financer ses aspirations, comme en témoigne la montée en flèche, dans les dernières années, du greenwashing, cette mascarade par le vert qui sait si bien abuser de la mauvaise conscience des pollueurs pour leur vendre une ampoule, une crème, un détergent, un repas au restaurant ou une canette de Coke. » Et dans sa conclusion, ce sont les pauvres consommateurs qui en prennent pour leur rhume : « Quant aux pigeons, ils ne semblent pas, eux, avoir besoin pour le moment de campagnes de soutien, de ruban ou de logo pour assurer leur survie. Leurs colonies, surtout celles qui fréquentent les centres commerciaux, n’étant pas vraiment menacées. »

Holà… Tout ça fait beaucoup de fort jolies phrases. Mais quand même, calmons-nous un peu.

Comme je l’ai moi aussi écrit après avoir vu le film, je suis bien d’accord pour relever les dérives, voire les absurdités, de beaucoup d’opérations marketing enrubannées de rose. Mais ceci dit, les effets pervers et les glissements dont tout le monde parle tant, à commencer par cette fameuse « tyrannie de la bonne humeur » et cet accent mis sur les « survivantes » (en évacuant toute référence à la mort), ne sont pas tous la faute des grands méchants marchands. Tout cela s’inscrit dans des dynamiques de société beaucoup plus complexes. Le marketing les amplifie, il en profite, mais il ne les crée pas de A à Z. Ainsi, ce côté « cheerleader », cet accent sur la bataille, la victoire et la survie, est au départ, profondément américain. Et les Américains n’ont eu besoin d’aucun gourou du marketing pour leur inventer ça.

On souligne aussi, beaucoup, que les profits vont dans la recherche pour des cures, développées par des entreprises pharmaceutiques qui pourront ensuite s’enrichir. Et que pas grand-chose n’est fait pour la prévention et pour la recherche des causes. C’est vrai. C’est un travers majeur de notre société nord-américaine, auquel on devra bien finir par s’attaquer. Mais c’est quand même un peu drôle de s’attendre à ce que des entreprises privées se mettent à faire, à travers leur marketing, ce que nous ne faisons pas encore nous-mêmes, comme individus et comme sociétés…

Par contre, si cette tendance devient suffisamment forte, on peut être sûrs qu’il y aura des entreprises pour s’y intéresser. Dans le film de Léa Pool, une des militantes interviewées (elle-même atteinte du cancer), analyse les dérives du ruban rose avec autant de lucidité que de découragement : « Si au moins il avait un complot, on pourrait s’y attaquer, dit-elle. Mais non, c’est business as usual» Et c’est vrai qu’il y a, dans le business as usual, pas mal de choses condamnables… et déprimantes. Mais un documentaire comme « L’industrie du ruban rose », et les dénonciations qu’il contient font maintenant partie, justement, de ce  « business as usual ». Il est question, dans le film,  de cette campagne lors de laquelle American Express s’engageait à verser 1 cent (0,01$) à la cause pour chaque achat fait avec un carte American Express, et ce, peu importe le montant! Campagne à laquelle Amex s’est empressée de mettre un terme, devant le tollé soulevé. « De telles initiatives sont comme les bactéries : dès qu’on les expose à la lumière et à l’air libre, elles meurent », souligne avec à-propos une autre des activistes interviewées.

Il faudra se faire à l’idée : les causes, et la « conscience sociale », vont de plus en plus faire partie des stratégies des compagnies. Et pas forcément parce qu’elles cherchent à les « récupérer », à en détourner le sens et ultimement à manipuler le public. Mais, tout bonnement, au départ, parce que c’est le public qui le veut ainsi : de plus en plus, les gens déclarent qu’ils trouvent important que les entreprises soutiennent une cause, ou fassent ressortir leur implication par rapport à des enjeux sociaux. En conséquence, de plus en plus d’entreprises tentent de la faire. Et, toutes ne s’y prendront pas forcément de façon géniale. De la même façon qu’une bonne partie de la publicité est, au mieux, banale, beaucoup de tentatives de la part des entreprises pour s’associer à des causes sont maladroites, mal conçues, mal alignées. Et certaines, oui, prennent vite l’allure de grossières récupérations.

Mais là, le public a plus que jamais le dernier mot : il suffit de voir l’exemple d’American Express, et l’analogie avec les bactéries. Voyons aussi la réaction suscitée par l’initiative de Coke lancée, l’automne dernier, en soutien à la préservation de l’environnement de l’Arctique.  « Un instant ! », se sont dit bien des commentateurs, dont moi : « est-ce si généreux, étant donné les moyens dont dispose une entreprise comme Coca-Cola? ». Une responsable de Coke m’a répondu, comme, je l’imagine, à d’autres qui ont émis le même genre de commentaire. Et je veux bien pour ma part, laisser sa chance au coureur. Mais voilà: les entreprises qui s’associent à des causes s’exposent désormais à se faire sérieusement remettre en question. Et celles qui versent sur la récupération crasse se tirent dans le pied, c’est de plus en plus évident. Non seulement ça : elles nuisent à toutes les autres, mêmes celles qui lancent des initiatives valables.

Parce que oui, il y en a. Ce n’est pas que je tienne à tout prix à vous fourguer mes anciens billets, mais j’invite ceux que cela intéresse à aller lire La pub de demain : transparente et impliquée. Faites aussi une recherche Google avec les mots « Dove estime de soi » de même qu’avec « Levi’s Braddock ». Et nous en reparlerons.

Et en attendant, gardons-nous un peu de ces tempêtes médiatiques de plus en plus extrêmes qui, comme l’écrivait sur Twitter la commentatrice Anne Darche, vont finir par faire augmenter la consommation de Gravol chez bien des « newsjunkies »…

 

Parce que oui, il y en a. Ce n’est pas que je tienne à tout prix à vous fourguer mes anciens billets, mais j’invite ceux que cela intéresse à aller lire La pub de demain : transparente et impliquée http://marieclaudeducas.com/2011/la-pub-de-demain-transparente-et-impliquee-eh-oui/

Faites aussi une recherche Google avec les mots « Dove estime de soi » de même qu’avec « Levi’s Braddock », et on en reparlera.

En en attendant, gardons-nous un peu de ces tempêtes médiatiques de plus en plus extrêmes qui, comme l’écrivait sur Twitter la commentatrice Anne Darche, http://www.radio-canada.ca/emissions/lapres-midi_porte_conseil/2011-2012/chroniqueur.asp?chroniqueur=anne_darche donnent envie à bien des « newsjunkie » l’envie d’aller prendre un Gravol…

  1. Il est vrai que plusieurs entreprises poussent la note lorsqu’il est question de philanthropie/ image de marque. Dans le cas de Dove, l’hypocrisie est tout de même présente dans la mesure où Unilever, propriétaire de la marque Dove compte aussi parmi ses marques populaires Axe. Axe, une marque promettant, bien qu’avec humour, l’attrait de jeunes femmes plus stéréotypées les unes que les autres, projettent en fait le contraire total du bien-être dans sa peau prôné par Dove. Il est malheureux de constater que la plupart abusent du manque de connaissance de la population pour se donner bonne conscience. Au final, faut-il prendre tous ces dons envers diverses causes pour une bonne action ou pour une action marketing bien orchestrée? Quant à moi, si les retombées sont positives pour la cause et que les fonds promis sont réellement investis, force est d’admettre que cet argent mis au service d’une marque et d’une cause est peut-être en fait un mal nécessaire. Qu’en pensez-vous?

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