Movember, Ruban rose, etc.: le marketing des causes… expliqué par Mordecai Richler

Dans mon dernier billet,  je parlais des défis qui se posent quand on doit sensibiliser le public à une cause, en faire la promotion et amasser des fonds. On se retrouve face aux impératifs du marketing, et du besoin, au milieu de tout l’encombrement qu’il y a, d’attirer et de retenir l’attention. Et les causes sont, si l’on peut dire, un « produit » qui a ses propres particularités.

Mordecai Richler

Le romancier Mordecai Richler: une analyse impitoyable des enjeux liés au financement des causes, dans Barney’s Version

Et après avoir écrit ce dernier billet, où il était entre autres question du fait qu’un problème comme la maladie de Crohn reste largement ignoré, je me suis souvenue d’un passage dans le roman Barney’s Version, de Mordecai Richler. Je ne sais pas si ce passage est dans le film, que je n’ai pas vu. Mais dans le livre, voici ce que ça donne.

Mise en contexte : le personnage principal, Barney, termine une visite à son médecin, Morty, en toute fin de journée. Juste comme il prend congé, surgit Duddy Kravitz, le personnage de « brasseur d’affaires » que les scrupules n’ont jamais encombré, et héros du premier roman à succès de Richler, L’apprentissage de Duddy Kravitz.

On comprend, étant donné le dialogue qui suit, que Kravitz a progressé à la fois en âge et en richesse. Et on comprend aussi, quant à moi,  pas mal de choses quant au marketing des causes…  Voici le passage, en intégral… et en anglais. Je ne vais quand même pas me lancer dans une traduction impromptue. D’ailleurs, quant à moi, Mordecai Richler n’a jamais trouvé, en français, le traducteur qu’il mérite. Mais cela, c’est un autre sujet. Le dialogue est du grand Richler, avec toute l’acuité d’observation, le côté tragi-comique – et l’incontournable touche de mauvaise foi… -, qui ont fait sa marque. C’est aussi une autre démonstration que, souvent, c’est en passant par la fiction qu’on réussit le mieux à capturer la réalité…

I was Morty’s last patient of the day, but even as we retired to his office, shmoozing, a raging Duddy Kravitz whacked open the door and burst in on us, shedding his cashmere topcoat and white silk scarf, revealing a snazzy tux. Dismissing me with a perfunctory nod, he turned on Morty. «I need a disease.»

«I beg your pardon ?»

«It’s for my wife. Look, I’m in a terrible hurry and she’s waiting in my car.  It’a a Jag. Latest model. You ought to get one, Barney. You pay cash, you can knock them down. She’s in tears.»

«Because she hasn’t got a disease ?»

Duddy explained that his millions notwithstanding, never mind his donations to the Montreal Symphony Orchestra, the art museum, the Montreal General Hospital, McGill, and his whopper of an annual cheque to Centraid, he was still unable to crack Westmount society to his wife’s satisfaction. But tonight, en route to the museum’s Strawberry and Champagne Ball, «They usually seat us at a table in the bleachers», he said, «I had a brainwave. There has to be a disease out there not yet spoken for, something for which I could register a charitable foundation, organize a ball at the Ritz, fly in some big-name ballet dancer of opera signer to perform, who cares the cost, and everybody would have to turn out. But it’s a tough call. Don’t tell me. I know. Multiple sclerosis has already been nabbed. So has cancer. Parkinson’s. Alzheimer’s. Liver and heart disease. Arthritis. You name it, it’s gone. So what I need is some disease still out there, something sexy I could start a charity for, and appoint the governor general, or some other prick, honorary patron. You know, like Sister Kenny, or was it Mrs. Roosevelt, and the March of Dimes. Polio was terrific. Something kids get tugs at the heartstings. People are suckers for it.»

« What about AIDS ?», I suggested.

«Where have you been living ? That’s long gone. Now there’s that thing that women get, you know, they eat like pigs, then stick tow fingers down their throat and vomit it out, what’ that called ?»

«Bulimia.»

«It’s disgusting, but if Princess Diana has got it, it could have lots of appeal for Wesmount types. Goddamn it,» said Duddy, glancing at his watch. «Come on, Morty. I’m running late. Any minute now she starts her blowing-on-the-horn routine. She’s driving me crazy. Hit me with something.»

«Crohn’s disease.»

«Never heard of it. Is it big ?»

«Maybe two hundred thousand Canadians suffer from it.»

«Good. Now you’re talking. So tell me about it.»

«It’s also known as ileitis or ulcerative colitis.»

«Explain it to me in laymen’s terms, please.»

«It leads to gas, diarrhoea, rectal bleeding, fever, weight loss. You suffer from it you could have fifteen bowel movements a day.»

«Oh great ! Wonderful ! I phone Wayne Gretzky, I say, how would you like to be a patron for a charity for farters ? Mr. Trudeau, this is D.K. speaking, and I’ve got just the thing to improve your image. How would you like to join the board of a charity my wife is organizing for people who shit day and night ? Hey there, everybody, you are invited to my wife’s annual Diarrhoea Ball. Listen, for my wife it has to have some class. I want you to come up with a winner by nine o’clock tomorrow morning, Morty. Good to see you Barney. Sorry your wife left you. Is it true it was for a younger guy ?»

Et donc, voilà de quoi comprendre un peu mieux pourquoi certaines causes peuvent plus facilement devenir populaires… et pourquoi, inversement, certaines causes demeurent orphelines.

  1. J’adore vous lire. C’est toujours extrêmement intéressant.

    Il y a également les recruteurs de rue d’oeuvres de charité ou de campagnes pour des maladies diverses qui sont grassement payés. Je pensais qu’il s’agissait de bénévoles mais ces jeunes ont un salaire qui commence à 13$ l’heure et qui monte rapidement à 18 ou 20 dollars si le recruteur est efficace et qu’il réussit à faire cracher suffisamment de bonnes poires comme moi, dois-je l’admettre. Je n’ai plus confiance à ces grosses organisations philanthropiques depuis que j’ai pris la peine de m’informer un peu plus sur leur fonctionnement, depuis le film de Léa Pool aussi, sur le cancer du sein. Ma poche s’est refermée et je ne l’ouvre plus que quand je sais où va vraiment mon argent.

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