Comment Facebook nous transforme en perpétuels touristes

Alors que Facebook a clotûré l’année en lançant son fameux profil « Journal », (Facebook Timeline en anglais), un article paru dans Slate et transmis par un de mes contacts Twitter (@JPLeGrand) a attiré mon attention.  Intitulé The Anti-Social Network, il fait ressortir comment ce réseau social peut contribuer à nous déprimer.  Chacun s’empresse d’afficher tout ce qu’il fait de bon et d’intéressant: les activités auxquelles il participe, les spectacles et films qu’il va voir, les gens qu’il fréquente, etc. Et en lisant tout cela, on peut parfois avoir l’impression d’être seul(e) sur Terre à ne pas mener une vie géniale…

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Facebook, à l'ère du profil Journal: nous adoptons tous un peu le sytle "brochure" et "beau récit de voyage". (source de l'image: cnetfrance.fr)

Tout cela devient encore plus fragrant avec le Facebook Journal (que je n’utilise pas encore, soit dit en passant). Cette fonctionnalité permet à chacun d’organiser les contenus qu’il/elle a publiés sur Facebook en ordre chronologique inversé, et de les personnaliser de diverses façons. D’abord, en permettant de retirer tout ce qu’on ne voudrait plus voir figurer. On établit aussi une hiérarchie dans les photos publiées, en mettant de l’avant celles dont on estime qu’elles  représentent le mieux qui nous sommes et ce qui nous intéresse.

Donc, plus que jamais, Facebook nous permet de mettre en scène notre propre vie. Chacun  publie sa propre biographie, et la met à jour en permanence.

Et cela m’a frappée tout à coup : en fait, sur Facebook, on se conduit en perpétuels touristes.

Que fait-on à nos retours de voyages? On met de l’avant nos découvertes, les beaux endroits,  les bons moments… Et l’on omet tout ce qu’il y avait d’ennuyeux, de trivial, et, la plupart du temps, le fâcheux et le carrément emmerdant. Pas forcément pour être de mauvaise foi : il n’y a rien d’intéressant à raconter dans les attentes interminables à la sécurité, les vols annulés ou retardés, les transferts manqués, les coups de soleil ou les microbes attrapés…  Et puis, avec le temps, ces détails s’estompent bel et bien dans nos mémoires, au profit du reste. Et puis parfois oui, on est quand même un peu de mauvaise foi.  On ne veut pas trop s’avouer soi-même que l’on a dépensé beaucoup d’argent pour quelque chose qui n’aura peut-être pas été à la hauteur.  Et puis on veut quand même, quelque part, susciter (au moins un peu) l’envie…

Maintenant, sur un réseau social comme Facebook, on a les même réflexes pour ce qui concerne l’ensemble de notre vie. On va publier dans les moments où l’on fait des activités intéressantes, où l’on se sent bien. Et on va « faire le mort » dans nos moments de déprime et d’ennui. On va claironner au monde entier que l’on fête son anniversaire de mariage, raconter ce que notre « chum » ou notre «blonde » vient  de faire de particulièrement gentil… Mais personne ne saura rien des propos tenus lors de notre plus récente engueulade. En un mot, nous adoptons tous un peu le style « brochure » et « beau récit de voyage ».

Et en ce qui concerne les voyages, depuis le temps, l’auditoire a développé une sorte d’immunité : on se doute bien que, dans tous ces récits de « merveilleux » voyage dans le Sud que l’on entend, il y aura parfois un nombre appréciable de jours passés surtout dans la salle de bains; que le mal de mer peut avoir été le lot de ceux qui reviennent de croisière, même si on n’en entend jamais parler; etc. Mais on n’a pas encore développé la même distance critique par rapport à ce qu’on lit sur des réseaux comme Facebook. Et on peut, dans les moments plus difficiles, ou simplement un peu « plates », avoir l’impression d’être le seul « loser », dans un océan de gens méga-heureux et hyper-performants.

Ne perdons pas de vue qu’il n’en est rien. Et qu’une bonne partie de tout cela, en fin de compte, n’est que mise en scène.

  1. Jean-Pierre Le Grand

    En fait, on découvre — en masse — les joies du marketing personnel, autrefois l’apanage des vedettes et des politiciens. (Peut-être que ça explique pourquoi on n’a jamais autant parlé d' »authenticité » J) Le danger, c’est peut-être de tout se mettre à croire à ces belles images. D’un autre côté, je pense que l’on peut aussi utiliser Facebook pour conscientiser les gens, comme le fait Béatrice Vaugrante, qui travaille pour Amnistie International. Évidemment, il faut s’attendre à ce que ces notes discordantes récoltent un peu moins de votes « J’aime », mais au fond c’est pas grave. L’important, c’est que quelqu’un, quelque part, évoque le revers de la médaille de temps à autre.

  2. A travers un instrument de communication tel que pourrait l’etre facebook, je deplore l’egoisme ambiant, le repli sur sa personne, sur son entourage, sur ses « bonheurs ». Vous epinglez bien cet aspect peu rejouissant: des touristes sur la toiles au quotidien. Des cliches des belles robes d’ete a la plage, et d’evenements heureux – sorties, mariages et enfants… Un reseau de communication tel que celui-la se doit certes de representer et de parler du quotidien, mais aussi du reve – de paysages, de paradis, de bonheurs familaux infinis… J’invite aussi a l’echange; en citoyens de ce monde, les enjeux politiques et sociaux doivent prendre leur place et peser de leur poids. Sommes-nous responsables? Reflechissons-nous encore? Au vu des posts et statuts facebook, c’est devenu une denree rare… Ou peut-etre sont-ce mes contacts? (une revision s’impose-t-elle?) ^^

  3. Cet article confirme ce que j’ai toujours penser : Facebook c’est de l’autopromotion brute. Il faut montrer que l’on à une vie parfaite, un super boulot, un mariage magique, des enfants merveilleux…ect. Malsain au possible.Cela comme le dit justement l’auteur, ne peut que suciter jalousie et ressentiments…. « Et on peut, dans les moments plus difficiles, ou simplement un peu « plates », avoir l’impression d’être le seul « loser », dans un océan de gens méga-heureux et hyper-performants. » Le seul point rassurant, la plupart de mes amis, qui ont réellement une vie extraordinaire ne sont pas sur Facebook. Ils n’ont rien à compenser. :)

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