Requiem pour le Madrid

En « faisant la 20 » vendredi dernier entre Montréal et Québec,  j’ai réalisé que c’était la première fois depuis la démolition du célèbre restaurant Madrid, fermé le 31 août dernier, puis démoli presque aussitôt. (Ironie: la page web existe encore).  La nouvelle, annoncée début juillet, avait causé une petite onde de choc dans les médias, suscitant divers reportages, quelques protestations, et même l’ouverture d’une page Facebook dédiée à la sauvegarde du restaurant. Mais, en fin de compte, rien de suffisant pour  renverser le cours des choses. Et, après une réception où se côtoyaient « robes du soir et poutines », le Madrid a fermé, et doit faire place dans l’avenir à une halte où l’on trouvera une station-service et quelques restaurants rapides.

Le restaurant Madrid, désormais démoli: un monument kitsch qui a disparu

Mais en attendant, et je m’en suis subitement rendue compte, à la place du célèbre bâtiment blanc au toit rouge, flanqué de sa tourelle, et accompagné des immenses répliques de dinosaures et des camions « Big Foot » qui faisaient la joie des enfants, il y a désormais un grand vide. Le Madrid, qui existait depuis 55 ans, était situé à mi-chemin  entre Montréal et Québec, les deux principaux pôles de cette artère majeure que constitue l’autoroute 20 au Québec.

L’endroit a fini par acquérir un statut de symbole, pour plusieurs raisons et de diverses façons. J’ai déjà entendu du monde dire « on n’est pas encore rendus au Madrid encore », pour signifier qu’on n’avait pas encore accompli la moitié d’une tâche ou d‘un projet. Et puis, il n’y a sans doute pas grand-monde au Québec qui ne s’y soit pas arrêté au moins une fois. C’était le lieu par excellence pour déguster une poutine, ce met traité jusqu’à récemment, au pire comme une aberration culinaire et, au mieux, comme un plaisir coupable, mais récupéré gastronomiquement ces dernières années, et exporté jusqu’à certains endroits « in » de New York. L’architecture supposément « espagnole » du Madrid témoignait de l’époque où ce style tarabiscoté était en vogue dans certains intérieurs québécois. Et puis, comme en témoignait entre autres un des documentaires de la série Le Québec en 12 lieux, conçue par Urbania et diffusée sur TV5, c’était devenu un point de jonction et de ralliement , pour toutes sortes de raisons.  Pour beaucoup de couples séparés au Québec, c’était le lieu de « passation » des enfants en garde partagée : un endroit, en terrain neutre, et au moins agrémenté, pour les enfants, des dinosaures et des gros camions, ajoutés là au gré des passions du propriétaire. Pour d’autres, de moins triste façon, c’était tout bonnement une halte familiale  qui permettait de se nourrir et de distraire les  enfants. Et le Madrid était, paraît-il, connu des camionneurs à travers l’Amérique du Nord.

Aurait-il fallu préserver Le Madrid? Un des reportages parus l’été dernier faisait état de gens qui réclamaient son accès au statut de patrimoine mondial de l’UNESCO. Ce qui aurait été nettement exagéré… Il reste que le Québec a perdu quelque chose, tout comme Montréal avec la disparition du restaurant Ben’s. Certes, dans le cas du Madrid, on ne pouvait pas vraiment parler de valeur architecturale… Mais ce monument au kitsch était devenu une partie irremplaçable du paysage québécois.  Le pionner de la publicité Jacques Bouchard, dans son ouvrage Les 36 cordes sensibles des Québécois, avait identifié « le sens du kitsch » comme une de ces fameuses « 36 cordes ». Et quel autre endroit que le Madrid pouvait mieux le symboliser ? Mais bon. Dans un endroit où l’on a tellement de mal avec notre histoire, et avec la préservation de notre « vrai » patrimoine historique et architectural, pas étonnant que l’on soit loin de seulement penser à préserver un certain héritage kitsch.

Alors voilà. Il y a bien d’autres sujets plus graves et plus importants que la disparition du Madrid. Mais, comme beaucoup d’autres, qui, sur la 20, se retrouvent tout à coup face à ce vide, je me suis dit que la perte du Madrid méritait au moins d’être soulignée à nouveau. Même près de trois mois après le fait. Et d’ici à ce qu’on voie ce qui le remplacera.

  1. Merci à vous pour ce bel article!!!

    Oui le Madrid est disparu mais restera toujours dans notre âme!

    Ayant été gérant de l’établissement pendant 11 ans, je peux vous dire que mon équipe et moi avons contribué au succès de l’arrêt familial numéro 1 sur l’autoroute 20. Cela va rester à tout jamais gravé dans ma mémoire.

    Le Madrid sera remplacé par autre chose. Mais juste le fait de prendre la sortie 202 nous fera nous rappeler à tous, un simple instant, un beau moment que nous y aurons passé!!!!

    Encore une fois merci de ce beau rappel!

    Andy Schrijvers
    gérant 2000 à 2011.
    andydit@hotmail.com

  2. Merci pour ce beau texte… Oui il manque de quoi à la sortie 202! Le prochain projet sera de toute beauté avec plusieurs visages de l’ancienne équipe.
    Pour ma part ayant été prop pendant plus de 10 ans, retrouver mes fin de semaine et prendre le temps de vivre avec ma petite famille ca fait du bien.
    Cepandant,l’énergie et l’équipe me manque!!!!
    merci!
    Julie Arel

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