Est-ce en 2011 que nous allons finalement ralentir?

Puisqu’on est encore en début d’année, période où, après « résolution », un des mots les plus populaires est sans doute « tendance ».  Et puisque, même si je me sens de plus en plus allergique au mot « tendance »,  je me suis déjà laissée entraîner dans l’exercice , je vais continuer un peu.  Et parler d’un sujet qui, je crois (j’espère ?) a des chances d’être dominant cette année : le fameux mouvement « slow », et tout ce qui est lié à notre désir de ralentir, et de remettre en question notre rythme de consommation effréné…

2011: l'année de la "slow attitude"?

Bien sûr, on en parle depuis un moment déjà. Mais justement, une tendance décisive ne surgit pas du jour au lendemain. On voit en général divers éléments émerger, puis  fermenter pendant  plusieurs années. Dans le cas qui nous occupe, le premier jalon a sans doute été le mouvement du « slow food » , lancé par l’italien Carlo Petrini… en 1986 !  En réaction, évidemment, au fast-food et tout ce qui s’y rattache. Puis, tranquillement ( ! ), le principe du slow food a fait des petits. 

En 2004, Carl Honoré, journaliste canadien établi au Royaume-Uni, publiait le livre « In praise of slow« , paru en 2007 en français sous le titre  « Éloge de la lenteur ». Le livre débute par une critique de notre rythme de vie de plus en plus frénétique, puis expose différentes façons dont, un peu partout dans le monde, on remet désormais en question cette quête de vitesse. Carlo Petrini et son « slow food » y figurent  bien sûr. Et on aborde aussi d’autres remises en question: par à notre façon de travailler et d’organiser le travail, de planifier les villes, d’envisager la santé et la médecine, et même de faire l’amour. (J’avoue d’ailleurs que là, j’ai décroché un peu. Nous « ploguer » l’amour tantrique… me semble que c’est un peu étirer la sauce. Mais c’est mon point de vue.) Et ceci dit, les pistes, et la mise en contexte, sont intéressantes. Parlant de mise en contexte, d’ailleurs, il est intéressant de voir, à chaque début de chapitre, des citations de divers  auteurs déplorant notre rythme de vie trop frénétique. L’une, du poète britannique William Cowper, remonte à 1782 ! (« The tide of life, swift always in its course/ May run in cities with a brisker force/But nowhere with a current so serene/ Or half so clear, as in the rural scene”) On retrouve aussi un extrait du “Droit à la paresse”, écrit par le politicien et activiste français Paul Lafargue, en 1883).  Et encore, il aurait pu citer le fameux “Choc du futur” de l’américain Alvin Toffler, paru en 197o…

Tout cela pour dire que le découragement, l’angoisse, la révolte et les remises en question face à l’accélération du changement semblent être des constantes, chez l’humain… tout comme notre formidable faculté d’adaptation à ces changements.  Mais atteindra-t-on bientôt la limite ? Il y a encore peu de temps, j’aurais répondu oui. Mais, de plus en plus, je crois que non… justement à cause de cette émergence du mouvement « slow » ! Qui fait partie, justement de notre façon de nous adapter: on a assez apprivoisé la technologie pour pouvoir la remettre en question, en refuser certains aspects, et faire en sorte qu’elle soit là pour nous servir, et pas le contraire.  Même dans une entreprise comme IBM, un dirigeant a lancé un mouvement « slow e-mail ».

Et l’idée « slow » se décline maintenant dans une multitude de domaines. On parle maintenant de de « »slow design » et, côté tourisme de « slow travel ».

Tous ces mouvements, qui peuvent à prime abord sembler passablement éclatés, ont un noyau commun : le désir, dans tout ce que l’on fait, d’aller plus en profondeur, et de le faire dans une optique  de dévelopment durable. Le « slow travel », par exemple, implique à la fois l’idée de de prendre le temps de se familiariser avec la vie et la culture des endroits que l’on visite, et aussi de voyager en polluant le moins possible. C’est d’ailleurs un aspect dont faisait état Pierre Bellerose, de Tourisme Montréal, dans ses 11 tendances du tourisme pour 2011.  Le « slow design » prône la conception de produits qui dureront, plutôt que d’aller dans l’éphémère et le jetable. Tout comme le « slow food »  repose à la fois sur la préoccupation de consommer une nourriture plus satisfaisante et consistante, mais aussi qui a été produite dans une plus grande préoccupation de l’environnement (et donc, favoriser des productions plus locale, à moins grande échelle, etc.)

Alex Bogusky: de star de la pub à activiste anti-marketing

La plus récente tendance dans cette foulée est celle du « slow média », qui a émergé au cours de l’année dernière. Les racines du mouvement ne font pas l’unanimité. La chroniqueuse médias Nathalie Collard, qui en a parlé dans sa chronique de La Presse  de même que sur son blogue, en attribue l’origine du mouvement à Jennifer Rauch, professeure de journalisme à l’Université de Long Island.

Le site français Owni.fr, de même que le site du magazine américain Wired retracent plutôt l’origine d’un « manifeste du slow média » de la part d’un groupe allemand. Owni.fr souligne par ailleurs que le même groupe avait été à l’origine, environ un an plus tôt, d’un manifeste internet. Enfin, quoiqu’il en soit, l’idée est définitivement dans l’air… Mon collègue Thomas Leblanc, avec qui je me trouvais en début d’année à l’émission de Christiane Charette, s’était lui-même questionné sérieusement sur ses habitues médias et internet, dans un billet, alors qu’il était encore au magazine Nightlife.  Et tout ce qui est liés au « slow média » et à la reprise de contrôle sur la technologie figure en bonne place des « 10 résolutions médiatiques pour 2011 » que proposait Nathalie Collard en début d’année.

Parallèlement à tout cela, on voit, dans  les pays occidentaux riche, une remise en question de la surconsommation qui a caractérisé les dernières années. Oui, je sais, ce n’est pas d’hier qu’on parle de « simplicité volontaire ». Mais, encore, une fois, on dirait qu’on voit finalement se mettre ensemble plein d’éléments qui émergaient depuis un moment: questionnements sur les travers de la pub et du marketing (No Logo, anyone ?),  sur nos mauvaises habitudes alimentaires et de consommation en général…

Un des points marquants de cette tendance, récemment, est sans contredit  la démission d’Alex Bogusky, co-fondateur de la célèbre agence  Crispin Porter Bogusky, auteur de non moins célèbres campagnes telles Burger King et Volkswagen, et figure marquante dans le monde de la publicité. Non content de quitter son agence, Alex Bogusky a aussi tourné le dos au mon de la pub, et s’est réincarné en activiste, et en critique virulent de la pub et de la société de consommation. Pour en savoir plus, je vous recommande d’aller lire cet article paru  dans Adweek,  celui-ci dans Business Week, et, surtout, celui-ci dans Fast Company, de même que la réponse de Bogusky à ce dernier reportage sur son blogue. Et je me promets bien de revenir sur cette métamorphose assez fascinante.

Spend Shift: la "simplicité volontaire", version 2011

Puis, côté consommateur, parlons du livre « Spend Shift« , dont un des co-auteur, John Gerzema ,était à Montréal le 30 novembre dernier, pour en présenter la teneur à un petit groupe invité par Young & Rubicam Brands, dont il préside une des divisions.  Vous pouvez voir la présentation qu’il avait donné lors d’une conférence TED en octobre 2009. Là aussi, le sujet est tellement riche et complexe que je m’y promets bien d’y revenir.  On y décortique la nouvelle mentalité qui émerge chez les consommateurs américains. Bien sûr, étant donné l’ampleur et la violence de la crise économique là-bas, on peut se dire qu’ils n’avaient pas trop le choix… Il reste que le livre fourmille d’exemples fascinants sur la façon dont certains américains sont en train de rebondir après avoir encaissé de formidables revers,  en remettant en question la surconsommation, et, dans la foulée, bien des aspects liés à la production de masse.  Les auteurs de Spend Shift observent aussi un désir, de la part des gens, d’être plus autonome, de se prendre en charge, d’être plus « souples » et moins encombrés par une multitude de possessions matérielles et d’obligations. Tout cela s’accompagne d’un désir de renouer avec sa communauté, de toutes sortes de façons, y compris en voulant favoriser l’économie et la production locales (bonjour, « slow food »).

Et donc, 2011 sera-t-elle l’année où l’on fera un usage plus modéré et avisé de la technologie, tout en accédant à une forme sensée – et agréable ! – de simplicité volontaire ? On peut au moins se le souhaiter.

  1. Excellent article riche et bien documenté. Rafraîchissant!

  2. J’ai lu récemment Le Choc Du Futur de Alvin Toffler, et je suis resté sur l’idée que la « vitesse » est malheureusement une tendance lourde, dont l’auteur explique le « pourquoi » au fil des pages. En espérant qu’un certain ralentissement puisse se concrétiser. J’en serais très heureux.

  3. ça me fait énormément penser au pamphlet de Neil French en son temps : nobody reads long copy anymore

    http://firemulticom.com.br/blog/wp-content/uploads/2008/05/neilfrench5.jpg

  4. Dans cette veine, il y a aussi ces tendances à changer la façon de consommer, en la rendant plus collaborative. Commun’auto, bixi et compagnie, s’inscrivent aussi dans ce phénomène émergent que Rachel Botsman appelle « collaborative consuption ». Où la propriété n’est plus une nécessité…

    http://www.collaborativeconsumption.com/

  5. Alex Bogusky vient d’ailleurs de lancer Common, « a New Brand of Capitalism », http://fearlessrevolution.com/blog/introducing-common.html pour réinventer le Capitalisme, dans un esprit très collaboratif. Cela fait éminemment echo au mouvement de collaborative consumption évoqué par Olivier, dont on commence à parler en France également.

  6. Marie-Claude Ducas

    @Laurent: merci! J’avais vu ce texte à l’époque, vous me l’avez remis en mémoire. Et surtout, je ne me souvenais plus que c’était de Neil French. Dommage que celui-ci soit finalement resté dans les mémoires pour une autre raison… http://en.wikipedia.org/wiki/Neil_French
    @Olivier: je ne connaissais pas cet ouvrage, ni Rachel Botsman; je vais prendre le temps d’aller y voir de plus près…
    @Antonin Léonard: merci, j’avais vu passer cela rapidement. Et je me suis bien promis de continuer de suivre la métamorphose d’Alex Bogusky, et de revenir sur le sujet.

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