En attendant le film : tout ce que nous devons à Tintin

Une bonne partie des  journalistes francophones sont devenus journalistes à cause de Tintin. Même ceux qui ne l’admettront pas. Cela paraît mieux, de nos jours, de se montrer un peu cynique et blasé. Ou, à tout le moins, à 100 000 lieues de cet esprit boy-scout qui anime l’œuvre d’Hergé. Mais qu’on ne s’y trompe pas: c’est quand même Tintin qui, au tout début, a allumé la flamme. C’est marqués par Tintin qu’une bonne partie d’entre nous avons choisi ce métier, animés par l’espoir de gagner notre vie en découvrant et en racontant des histoires, peut-être en contribuant à redresser des injustices et, idéalement, en parcourant la planète.

Tintin aura réussi à passer d'un siècle à l'autre...

Tintin est issu d’une époque où on a l’impression que tout était, sinon plus facile, du moins plus clair qu’aujourd’hui.  Une époque où il était plus simple de distinguer les bons des méchants; où la voie à suivre était plus simple à discerner; où les choix étaient moins compliqués. Ce n’est bien sûr qu’une de ces nombreuses illusions que crée la nostalgie : pour ceux qui les vivaient, les événements de l’époque n’avaient sans doute rien de simple non plus. Mais la fameuse « ligne claire » a traversé les âges, et notre fascination pour cet univers si net et cohérent ne se dément pas.

... en suscitant au passage, entre autres choses, bien des vocations de journalistes.

Tintin a vécu à une époque où la planète restait à découvrir. Le trajet vers l’Everest n’était pas encore une autoroute, les tropiques ne se visitaient pas en « tout compris », et les villes comme Londres, Paris, New York ou Barcelone n’étaient pas encore des « destinations» au sujet desquelles les foodies ou les accros du shopping rivalisaient dans leurs connaissances des « bonnes adresses ». Mais qu’on ne s’y trompe pas: on cherche tous encore le frisson lié aux premières découvertes. Et nos départs en voyage auront longtemps été accompagnés de la trépidation que l’on ressentait en voyant Tintin s’embarquer dans un bateau, un train, un avion.  Pour ma part, tout s’est joué, je pense, le jour où j’ai ouvert Les Cigares du Pharaon.  Absolument tout se trouve dans les premières cases : un grand paquebot blanc côtoyant un sambouk, Tintin accoudé au bastingage, puis, surtout, la carte de l’itinéraire qui le mènera du Moyen- à l’Extrême-Orient (comme on disait encore en ce temps-là), émaillée de noms qui sont les symboles mêmes de l’exotisme : Port-Saïd; Bombay;  Colombo; Singapour; Hong Kong; Shangai. Une bonne partie des francophones mordus de voyages le sont à cause de Tintin. Même ceux qui ne l’admettront pas.

Tintin a traversé le 20ième siècle en s’y frottant aux grands phénomènes géopolitiques, qu’ils soient ou non expressément nommés dans les albums :  l’invasion de la Chine par le Japon (Le Lotus Bleu);  les conflits entre « républiques de bananes » d’Amérique du Sud, financées par de grandes puissances coloniales (L’Oreille cassée, Tintin et les Picaros); les conflits dans les Balkans, sur fond de Guerre mondiale, puis de Guerre froide (Le sceptre d’Ottokar, L’affaire Tournesol); la mondialisation des conflits, assortie de la montée de puissances économiques pas toujours au-dessus de tout soupçon (Tintin au pays de l’or noir, Coke en stock). Il a aussi marché sur la Lune avant que Neil Armstrong et Buzz Aldrin ne le fassent. Et pour beaucoup d’entre nous, à l’évocation du mot « fusée », c’est l’image de la fusée rouge et blanche de On a marché sur la Lune qui surgit dans notre esprit,  avant même celle de la vraie Saturn V.

Le film Les aventures de Tintin: Le secret de la Licorne, réalisé par Steven Spielberg et produit par Peter Jackson, qui arrive en salle au Québec ce vendredi 9 décembre (après l’Europe mais avant le reste de l’Amérique), est lui-même l’aboutissement d’une longue histoire. Spielberg, enthousiasmé par la découverte de Tintin et de son univers, avait contacté Hergé à la fin de 1982, afin d’acquérir les droits d’adaptation. Les négociations entre le clan de Hergé-  alors très malade et affaibli- , et celui de Spielberg – âpre négociateur, et exigeant notamment tous les droits de merchandising, et le pouvoir de déléguer, au besoin, la réalisation à quelqu’un d’autre – ne se conclueront pas avant la mort d’Hergé, en mars 1983, et stopperont par la suite.

Quelles nouvelles tractations ont finalement amené Tintin sur nos écrans? On en arrive à se dire que, il y a 28 ans, le moment n’était pas venu, et que le résultat n’aurait peut-être pas été aussi concluant.

À part cela, une des questions de l’heure est : faut-il voir Tintin en anglais (version originale du film) ou en français (langue maternelle de Tintin)? Je l’ai vu en anglais au visionnement de presse, entre autres parce que je sais fort bien que je le reverrai en français avec mes garçons. Je ne peux pas trop en dire, vu l’embargo « officiel » jusqu’à vendredi (un peu futile à l’ère d’internet, alors que le film est sorti il y a près de six semaines en Europe)… Mais disons que ceux qui sont à la fois des amateurs de « V.O. » et des fans de Tintin y trouveront leur compte. Et Marc-André Lussier, dans La Presse, recommande d’aller le voir en version française, ce qui permet de croire que la traduction et le doublage sont à la hauteur.

En attendant, j’invite les mordus à tromper leur impatience en allant lire cette remarquable série en six parties (plus une introduction), consacrée au film par Cinéludo, un blogue que je viens de découvrir.

Et puis, faisons nous tous plaisir en regardant à nouveau la bande-annonce.

 

  1. Bonsoir Madame Ducas,

    je vous remercie pour ce sympathique texte sur ce cher Tintin !

    Double remerciement en fait, puisque je suis l’auteur du blog que vous avez cité dans votre article !
    J’espère que le film vous a plu.

    Cordialement,

    Ludovic Fauchier

  2. Marie-Claude Ducas

    @Ludovic Faucher:
    Bonjour,
    Désolée du délai à vous répondre, pour cause de période des fêtes, et de diverses autres choses. C’est le hasard, et le référencement, qui m’ont fait découvrir votre blogue, que je recommanderai chaudement à tout cinéphile qui se respecte… Et, si je peux me permettre, je vous recommanderais d’en compléter la section « à propos », afin que l’on sache un peu qui vous êtes…
    Pour en revenir à Tintin, oui, j’ai bien apprécié le film (diffusé en salles au Québec depuis le 9 décembre, et depuis le 21 dans le reste de l’Amérique du Nord). D’ailleurs, après l’avoir vu en projection de presse en anglais, j’y suis retournée avec mes garçons, en français. Je trouve que l’esprit de l’oeuvre d’Hergé a été heureusement respecté, moyennant quelques bémols. Entre autres: le fait que le film fasse par moments davantage Indiana Jones que Tintin. Et aussi que le capitaine Haddock soit trop caricatural. Et puis, passons sur la bataille de grues à la « Transfomers » vers la fin… Mais en même temps, je me dis que c’est le premier d’une série, qui fait découvrir Tintin au public nord-américain, qui ne le connaissant dans l’ensemble à peu près ça. On pourra par la suite souhaiter plus de subtilité dans le développement des personnages, mais c’est un début plus que prometteur.
    En même temps, c’est drôle de voir comment les critiques sont divisées. Et d’ailleurs, semblent s’être montrés dans l’ensemble plus sévères au Canada anglais, et aux États-Unis, qu’au Québec. Je compte d’ailleurs y revenir… D’ici là, je vous remercie de votre mot, et vous souhaite un excellent début d’année 2012! Au plaisir de vous fréquenter.

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