Denis Villeneuve, Incendies… et Denys Arcand: l’étrange cas du Canada aux Oscars

Déjà, à l’époque où Denys Arcand avait remporté l’Oscar pour Les invasions barbares, en 2004 (après avoir été nominé pour Le déclin de l’empire américain en 1987, puis Jésus de Montréal en 1990), cette question me tracassait un peu, sans que je m’y arrête vraiment. Elle m’est revenu en tête ces jours-ci, avec la nomination pour le film Incendies, de Denis Villeneuve. D’autant plus que je l’ai effleurée dans la chronique que je viens de compléter, pour l’édition d’avril du magazine Infopresse et où je parle, en gros, de nouvelles réalités liées à la fois à la culture et aux communications qui émergent, tant  à Montréal, au Québec en général, et dans l’ensemble du Canada. Je n’en dis pas plus pour l’instant.

Incendies, de Denis Villeneuve: un autre Oscar canadien pour le Meilleur film en langue étrangère ?

Et là, je me suis de nouveau retrouvée à réfléchir un peu à l’aspect insolite, quelque part, de ce genre de présence du Canada aux Oscars. Incendies, en effet, est nominé – comme l’étaient les films de Denys Arcand –  dans la catégorie « Meilleur film en langue étrangère » (« Best Foreign Language Film« ), c’est-à-dire dans toute langue autre que l’anglais. Et donc, ces films se sont retrouvés finalistes, au nom du Canada, uniquement parce qu’il s’agit de films en français (et, pour Incendies, en partie en arabe). Et de films qui, tout universels qu’ils soient  plongent leurs racines dans la réalité québécoise, et en majorité francophone. Et donc, tout le pays, à ce genre d’occasions, espère la victoire d’oeuvres qui dépendent de l’existence, dans le Canada, d’un Québec francophone. Un peu comme, pendant les Olympiques bien des Québécois par ailleurs très nationalistes deviennent tout à coup canadiens lorsque le Canada se retrouve favori. Alors voilà, je trouve tout cela très intéressant et assez drôle, d’une certaine façon.

Paul Giamatti dans Barney's Version: le travail du Montréalais Adrien Morot, finaliste pour l'Oscar du meilleur maquillage

À noter par ailleurs que cette catégorie de « Best Foreign Language Film« , en elle-même, est loin d’être exempte de discussions et de controverses. Jusqu’en 2006, pour être considérés dans cette catégorie, les films devaient être dans une des langues « officielles » des pays concurrents. On a changé cela après la controverse autour du film italien Private, qui était principalement en arabe et en hébreu, et avait donc été disqualifié au départ. J’ai appris ces détails grâce à la référence au sujet de cette catégorie sur Wikipedia. Ce qui a permis au film canadien Water de Deepah Mehta, tourné en hindi, d’être nominé en 2007 dans cette catégorie. Il en est aussi question dans le texte de Marc-André Lussier (qui n’est pas encore en ligne), dans le cahier « Cinéma » de La Presse du samedi 26 février.

J’en ai appris plus, d’autre part, autour de cette catégorie grâce à cette chronique de Martin Knelman, qui est « entertainment columnist » au Toronto Star, et sur laquelle je suis tombée par hasard au fil de mes recherches sur Google.  On y comprend à quel point la compétition n’est pas simple… et le choix non plus, pour les juges. On y apprend aussi que, outre le critère des « langues officielles », il y a eu d’autres changements apportés à la façon de faire les choix dans cette catégorie.  Et donc, en lisant cela, on comprend pourquoi on lit et on entend souvent que le simple fait d’être nominé représente déjà une vraie victoire. Et que le fait de gagner ne dépend uniquement de la « pure » qualité. (Ce qui ne nous empêche quand même  pas de pavoiser quand on gagne.)

Évidemment, le Canada est loin de dépendre juste du Québec pour se distinguer aux Oscars. Pensons seulement aux honneurs remportés par James « I’m the king of the world ! » Cameron, pour Titanic en 1998 (meilleur film, meilleur réalisateur, meilleur montage). Et à Norman Jewison, maintes fois nominé (In the Heat of the Night, A Soldier’s Story, Moonstruck, etc.) et à qui l’Academy of Motion Picture Arts and Science a décerné en 1999 le Irving G. Thalberg Memorial Award qui récompense un apport exceptionnel au cinéma. Puis, en 2006, il y a eu Paul Haggis,  Oscar pour le meilleur scénario original, avec Crash. Mais ce n’est pas sûr que  la plupart des gens (des américains, en tout cas) sachent seulement qu’il s’agit de canadiens. Il y a quand même les productions de l’Office National du Film du Canada (12 Oscars, 70 nominations) et les films de Atom Egoyan (nominé deux fois en 1998 pour The Sweet Hereafter) pour avoir une saveur plus évidemment « canadienne ». En passant, j’ai appris tout cela grâce à cet article remarquablement complet sur  l’histoire des distinctions canadiennes aux Oscars, publié sur le non moins remarquable site Northernstars.ca, « The Canadien movie database. »

Et donc, nous sommes évidemment tous derrière Denis Villeneuve, et toute l’équipe de Incendies. N’oublions pas d’envoyer aussi nos voeux au maquilleur montréalais Adrien Morot, à qui le fait d’avoir si bien fait vieillir l’acteur Paul Giamatti dans Barney’s Version vaut une nomination. Et aussi à DeanDeBlois, originaire de Aylmer au Québec co-réalisateur et co-scénariste de How to train your dragon, finaliste dans la catégorie « Meilleur film d’animation ».

Et j’aurai sans doute envie de faire une mise à jour de cet billet après les Oscars, selon des résultats. Alors, à bientôt.

MAJ 28-03-2011 AM

Eh bien non… Denis Villeneuve n’est pas reparti avec l’Oscar. Pas plus qu’aucun autre de « nos » nominés d’ailleurs. Mais, comme l’ont observé plusieurs sur Twitter pendant la soirée d’hier, Denys Arcand a été nominé deux fois avant de remporter. Et Denis Villeneuve est encore bien jeune.

Et puis, étant donné toute la mécanique compliquée autour de cette catégorie (sur laquelle nous éclaire, entre autre, la chronique de Martin Knelman, du Toronto Star , que j’ai mentionnée plus haut), on ne peut surtout pas conclure à la défaite.  À l’époque d’ailleurs, Josh Freed avait conçu et réalisé un documentaire intitulé « The enveloppe please« , qui levait le voile sur les stratégies de marketing et les jeux politiques qui se déroulent en coulisses, autour des Oscars.  Comme cela remonte à 1996 et que c’était pour diffusion à CBC, je crains, hélas que ce ne soit introuvable. Dommage. Ça mériterait peut-être d’être refait ?

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