Arianna Huffington : bloguer sans avoir d’ordinateur; l’importance de « débrancher »; et autres rafraîchissants paradoxes

Arianna Huffington, qui était la conférencière-vedette du RDV Média de Infopresse hier (le 15 septembre), est devenue quelqu’un vers qui on se tourne pour avoir un aperçu, et une certaine sagesse, sur l’avenir qui attend les entreprises de médias. Le site Huffington Post, qu’elle a fondé en 2005, s’est imposé dans le paysage américain des médias comme une voix avec laquelle il faut désormais compter, à côté d’anciennes et vénérables institutions, que ce soit le New York Times, le Washington Post ou les grands réseaux de télévision.  Elle l’a fait en écrasant quelques orteils et en bouleversant bien des idées reçues, sur certaines façons « traditionnelles » de voir le journalisme, le contenu, et le fonctionnement des médias en général.

Arianna Huffington, qui était conférencière au RDV Média du 15 septembre: "Ce sont les médias en ligne qui vont en profondeur..."

La plus fréquente controverse est liée au fait que le Huffington Post, relaie, pour une large part, du contenu de blogueurs qui ne sont pas payés (mais qui souvent, ont un gagne-pain ailleurs). Ce à quoi Mme Huffington répond chaque fois que, à ses yeux, il s’agit d’un échange: ces blogueurs reçoivent de la visibilité, de la même façon que les gens sont invités à la télévision pour communiquer sur leur point de vue, sur le livre qu’ils viennent d’écrire, etc., sans être payés pour cela. À cet égard, le Huffington Post, souligne-t-elle , joue un rôle d’agrégateur; et par ailleurs, il engage des journalistes qui, eux, sont payés pour leur travail de journaliste.

Elle en vendu à AOL, en début d’année, ses intérêts dans le Huffington Post, tout en en demeurant rédactrice en chef. Elle est a amorcé une expansion hors des États-Unis, qui l’a amenée pour l’instant au Royaume-Uni et au Canada. Un des points qui a le plus retenu l’attention dans sa conférence d’hier, est d’ailleurs son intention d’avoir un Huffington Post québécois d’ici 2014.

Pour en savoir plus sur les propos qu’elle a tenus hier, vous pouvez déjà aller voir l’article de Nathalie Collard de La Presse, celui de Martine Turenne du Journal les Affaires, et le compte-rendu sur Canoë. Sans oublier ce résumé en tweets compilé par Infopresse. Et pour aller plus en profondeur sur sa vision par rapport aux modèles d’affaires des médias, et à la façon de considérer et de monétiser les contenus, l’entrevue que j’ai faite avec elle avant sa conférence sera publiée dans le magazine Infopresse de novembre. Mais voilà déjà de quoi donner uneidée de sa capacité de voir au-delà du buzz , des modes, et des idées reçues.

-Qui est un blogueur? Une des premières motivations pour fonder le Huffington Post, explique-t-elle, était d’amener dans la conversation publique des voix qu’on n’entendait pas autrement. Et le premier blogueur qu’elle a recruté est le célèbre historien Arthur Schlesinger, celui-là même qui avait enregistré les conversations inédites avec Jackie Kennedy, qui ont été diffusées à la télévision cette semaine. Et, comme elle le racontait aussi lors de cet hommage à M. Schlesinger après son décès en 2007, celui-ci – qui avait alors 88 ans – ne savait pas ce qu’était un blogue. Mais, après quelques phrases d’explications, il comprenait parfaitement le concept. Comme il ne possédait pas d’ordinateur, il faxait ses blogues. « Je ne suis pas d’accord avec les puristes qui pensent que ce ne serait pas un blogue », dit Arianna Huffington. L’écrivain Norman Mailer, lui, téléphonait certains de ses billets…  « Un blogue, c’est l’empreinte digitale de quelqu’un.  On a amené ces gens dans la conversation publique, en leur donnant la possibilité, dès qu’ils avaient une idée de l’exprimer et de la diffuser. » Ce qui est l’essence du blogue…

-Cesser d’être l’esclave de la technologie. « Nous avons besoin de nous déconnecter, pour pouvoir nous re-connecter avec nous-mêmes. C’est l’ultime paradoxe. », dit-elle  Et c’est en effet paradoxal de la part de celle qui est devenue une sorte de prêtresse de tout ce qui se rattache aux nouveaux médias. Mais ce n’est pas d’hier que Arianna Huffington tient ce discours. Lors de son passage aux Lions de Cannes en juin dernier, elle avait d’ailleurs fait référence aux histoires de gens qui suivent aveuglément leur GPS… jusqu’à conduire leur voiture au milieu d’un marécage ! « C’est ce qui arrive quand on suit aveuglément la technologie, disait-elle. Nous aurions besoin de GPS pour l’âme. »

-Les médias traditionnels sont trop superficiels;  internet permet d’aller en profondeur. « Les médias traditionnels souffrent de déficit d’attention : ils laissent de côté, beaucoup trop  vite, certains sujets, même importants, pour passer toute de suite à la prochaine Grosse Histoire », souligne-t-elle. Alors que les médias en ligne, par contraste, pourraient recevoir un diagnostic de « désordre obsessif-compulsif » : ils s’emparent d’un sujet, et ne le lâchent pas avant de l’avoir grugé jusqu’à la moëlle. C’est un point de vue qu’elle a déjà mis de l’avant, entre autres, devant un sous-comité du Sénat américain portant sur l’avenir du journalisme. Réconcilier les deux excès, souligne-t-elle, pourrait optimiser le journalisme de qualité.

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