La schizophrénie Canada-Cannes, le Québec à l’Advertising Week… et ce fichu article dans Maclean’s

Zut alors! J’avais déjà l’intention de revenir sur certains moments que j’ai trouvé surréalistes, lors de mon expérience au sein de la délégation québécoise/canadienne à Cannes. Un aspect que j’avais d’ailleurs effleuré lors de ma dernière chronique dans le magazine Infopresse, et sur lequel je voulais revenir ces jours-ci, 1)avant que le magazine disparaisse des tablettes pour faire part au numéro d’octobre, et 2) alors que se déroule  l’Advertising Week à New York, avec encore une fois, une bonne présence québécoise et, du moins j’imagine, canadienne-anglaise aussi. Et voilà que ce fameux article dans Maclean’s (sur la corruption au Québec, avec le Bohomme Carnaval en couveture) vient donner une tout autre teinte au débat. Je ne mets pas de lien vers l’article, vous savez duquel il s’agit. Je n’irai tout de même pas « booster » encore leur trafic… Et j’y reviendrai.

Mais, pour commencer, flashback sur Cannes. Connaissez-vous l’expression anglaise « The elephant in the room’? On l’emploie pour désigner un problème évident, énorme même, mais dont personne ne parle. Comme si, pendant une réunion, il y avait un éléphant dans le coin de la salle. Et que personne n’ose être le premier à soulever la question… C’est ce qui se passait à Cannes, lors de soirées ou de 5 à 7. Et, pour donner à cette expression une saveur pleinement canadienne,  on pourrait dire qu’il y avait un orignal sur la terrasse. À la lueur de ce qui arrive, on pourrait d’ailleurs ajouter qu’il était accompagné du Bonhomme Carnaval. Quoi qu’il en soit, les deux se tenaient donc, chaque fois, dans un coin de la terrasse, énormes et évidents, mais sans que personne risque une allusion à leur présence.

L'"autobus Montréal", qui sillonne les rues de New York à l'occasion de l'Advertising Week cette semaine

Car, en effet, étions-nous tous bel et bien là en tant que membres de l’industrie canadienne de la pub ? Pour les Canadiens-Anglais, cela ne faisait pas de doute. Pour les Québécois… c’était moins évident. Le premier éclair à ce sujet m’est apparu dans la salle de presse du Festival, qui est évidemment une sorte d’équivalent journalistiques des Nations-Unies. Lors de brefs propos échangés avec des collègues français, (de la publication CB News), il était notamment question des Lions remportés – ou non – par nos pays respectifs, et de leur classement dans les palmarès internationaux. J’étais en train de m’escrimer sur un de mes articles pour infopresse.com où il était question de Lions et de « shortlistés » québécois, quand une de ces distinguées collègues  me dit quelque chose comme : « et, de votre côté, le Canada s’est quand même distingué… »  Le décalage était tellement flagrant que ça a fait « tilt » dans ma tête: « Tiens, c’est vrai », me suis-je dit, projetée tout à coup hors de mon cercle immédiat de lecteurs montréalais, pour me retrouver sur le plan de la perspective internationale. « Dans les attributions de prix, dans les comptes-rendus, dans les listes de palmarès, le Québec n’existe pas. L’entité, c’est le Canada. »

Mais, dans les faits, au quotidien, les Québécois se retrouvent entre eux, et les anglos de même. Et, pour ce que j’ai vu aux derniers Lions, dans les rares circonstances où les deux « gangs » se croisaient, chacune restait, essentiellement, de son côté. À quoi il fallait ajouter le fameux orignal (et le Bonhomme Carnaval) qui se tenaient dans leur coin… Cela a été le cas, en tout cas, d’abord à une soirée organisée par Montreal.ad,  initiative mise sur pied par  l’ Assocation des agences de publicité du Québec (AAPQ) pour promouvoir Montréal comme pôle pour l’industrie des communications. Puis, quelques jours plus tard, à un 5 à 7 organisé par Canada-Cannes, qui se charge de la représentation canadienne à Cannes; où, entre vous et moi, un peu d’input québécois n’aurait pas nui pour aider à organiser un party digne de ce nom…

Et c’est comme cela pour tout ce qui touche un événement comme Cannes: on arrive en plein au coeur de la schizophrénie canadienne. Sujet d’autant plus difficile à aborder que l’on se trouve à effleurer des questions politiques, sur lesquelles certains ont des opinions parfois très émotives et tranchées. Des opinions que, justement, il faudrait arriver à mettre un peu de côté pour travailler efficacement. Parce que, ainsi que je l’écrivais dans ma chronique, nos subtilités politico-linguistiques ne pèsent pas lourd, vues de Cannes, comme d’ailleurs de New York, Londres ou Amsterdam: difficile de leur expliquer qu’ils devraient faire la différence entre deux groupes distincts, qui défendent chacun leurs intérêts…  

Y a-t-il moyen d’envisager ce genre de question sous un angle pragmatique, de  penser les choses en vue d’exercer un impact ? Pour un événement comme Cannes, ce n’est pas compliqué, cela se joue sur deux plans. Un, jouer dans la « politique interne » pour pouvoir avoir de l’influence. C’est-à-dire nommer faire nommer des jurés canadiens, qui, entre autres, joueront un rôle d' »ambassadeurs » pour leur pays en s’assurant que les créations présentées seront jugées à leur juste valeur. Mais il y a aussi le point numéro deux: se faire voir, s’afficher, projeter l’image que l’on veut. Et ce que l’on veut, j’imagine, c’est faire en sorte que les gens se disent: « tiens, il se passe des choses, ça a l’air d’une place hot… » 

Ce qui n’empêche pas le Québec, et Montréal, de mettre sur pied des initatives pour se mettre en valeur. À commencer, en ce qui concerne Montréal, par la mission mise sur pied par l’AAPQ pour faire valoir Montréal lors de l’Advertising Week à New York. Il n’y aurait d’ailleurs rien de mal à ce que Toronto ou Vancouver fassent de même, si l’envie leur en prenait. Mais comment arrimer et coordonner les actions un tant soit peu?  Après tout, la plus grande agence canadienne (Cossette) est québécoise. Et Publicis Canada bureau canadien du réseau international (et français d’origine) Publicis, est dirigé de Montréal. Taxi, une des agences canadiennes les plus créatives, a été fondée à Montréal (par Paul Lavoie) avant de s’étendre à Toronto, puis de s’exporter à New York et Amsterdam… Sid Lee, après Amsterdam, s’implante maintenant à Toronto… Et, sur un plan plus terre à terre, il y a pas mal de gens dans la communauté du marketing et des communications qui fait régulièrement la navette en Montréal et Toronto.

Alors, pourquoi ce fossé qui demeure, à pleins d’égards ? Et: soyons clairs: on parle ici uniquement de la réalité liée à la pub et marketing… Mais, honnêtement, on connaît bien mal, au Québec, le buzz, les trends, les initiatives et les gens qui font l’événement dans le milieu ailleurs au Canada. Et vice-versa, évidemment: au Canada-anglais, une bonne partie de ce qui touche à notre réalité culturelle (et donc communicationnelle), c’est du chinois. Quoique… en y pensant un peu, vous ne trouvez pas que, du côté canadien-anglais, il semble y avoir un peu plus d’efforts, et basés sur un réel intérêt, pour un  de faits pour saisir un peu mieux la réalité québécoise ?  On parle toujours de ce qui se passe en pub-marketing, s’entend… À quoi est-ce dû au juste? Évidemment, on peut toujours se dire que c’est parce nous, nous sommes tellements intéressants, alors que les canadiens-anglais sont « drabes »…  Mais, en plus de pécher par orgueil, ce serait faire drôlement preuve de jugement à courte vue. Est-ce en partie parce que les médias canadiens-anglais couvrent, somme toute, mieux la réalité québécoise(économique, du moins) que nous ne le faisons pour le Canada anglais ? Ça me fait un peu mal de devoir dire ça… Et, en ce qui me concerne, j’ai bien l’intention d’y travailler.

Mais bon, tout cela, c’était avant ce fichu article dans Maclean’s… Article sur lequel, franchement, je n’ai pas envie de revenir outre mesure. Si vous n’avez pas trop « suivi » les réactions, une recherche Google vous mettra au parfum rapidement. Je pointerai seulement deux points de vue qui ont été émis depuis: l’éditorial en ligne écrit par Carole Beaulieu rédactrice en chef et éditrice de L’actualité. L’actualité qui, faut-il le rappeler, appartient, tout comme Maclean’s, à Rogers Media. En fait, L’actualité et Maclean’s traditionnellement, se veulent deux publications à peu près comparable, chacune dans leur marché. L’autre article que je porte à votre attention est celui de Norman Spector sur le site du Globe and Mail, qui fait entre autre référence à l’article de Carole Beaulieu, et va jusqu’à parler d’une « guerre civile » au sein de Rogers… Mais ce qui est intéressant, ce sont les commentaires publiés suite à l’article:  très sensés et perspicaces, et à 100 000 lieues du Quebec bashing . Honnêtement, cela me réconcilie avec le genre humain, et me rassure sur l’ouverture d’esprit des Canadiens-anglais… du moins ceux qui lisent le Globe & Mail. Et c’est pourquoi je préfère, comme beaucoup d’autres l’ont déjà fait, attribuer cet article aux dérives d’une publication en mal de tirage.

Bon. Fermons là la parenthèse, et revenons à ce qui nous intéressait au départ. Et entre autres, à tout ce qui se passe cette semaine lors de l’Advertising Week à New York: comment se déroule la présence montréalaise? Et québécoise? Et canadienne? (D’ailleurs, pour des impressions en direct, je vous invite  à lire le blogue de mon collègue Arnaud Granata , qui est sur place.) Évidemment, ce n’est pas tout à fait la même dynamique qu’à Cannes, ne serait-ce que parce qu’on n’est pas dans une dynamique de concours, à essayer de gagner des prix. Mais n’empêche: se frappe-t-on aux mêmes genres de dédoublements de personnalités ? De moments surréalistes ? J’ai hâte d’en entendre davantage parler.

  1. Tout à fait d’accord sur ces impressions. J’ai peur que le Canada se tiendra à sa personnalité particulière pour longtemps. Il est ironique comment les américains et le monde entier nous perçoivent comme un pays évolué qui se jouit d’une haute qualité de vie. Oh, et comment nous nous vantons de cette réalité. Sans aucun doute, je crois que nous sommes schizophrène.

    Je peux partager un autre exemple de cela – justement ce matin dans l’émission Canada AM. Dans une entrevue, ils ont présenté un nouveau livre « The top 100 Canadian songs ». Devinez quoi? Bien que la chanson #1 était
    « American Woman » des années 70 du groupe The Guess Who, le pire dans tout ça est qu’il n’y avait aucune chanson québecoise dans ce palmarès. Comment se peut-il? Oui, la question a été posée par l’équipe de Canada AM, mais quand même j’ai trouvé l’explication par l’auteur plus embarrassante que choquante.

    Alors nous voici. Je pense qu’il faut continuer à avoir un dialogue ouvert sur ce sujet, surtout parmi les professionnels des médias et des communications, car il y a effectivement bien trop souvent un « disconnect » entre la réalité canadienne anglaise et celle française.

Laisser un commentaire