De Pat Burns à la sclérose en plaques: quand les réseaux sociaux dérapent

En fin de semaine dernière, alors qu’on en était encore à analyser comment certains médias – et pas des moindres-  en étaient venus, vendredi dernier, à annoncer par erreur la mort de l’ex-entraîneur de hockey Pat Burns, voilà que je tombe, à l’émission scientifique Les années-lumière  à la radio de Radio-Canada,  sur un reportage qui m’a tout de suite poussée à faire des recoupements. Reportage qui traitait pourtant d’un sujet fort différent de cette « affaire Pat Burns »: on y parlait de ce fameux traitement pour la sclérose en plaques, aussi révolutionnaire que controversé, prôné par le médecin italien Paolo Zamboni.

Pat Burns: mort et ressucité, en moins de trois quarts d'heure...

En bref, et sans se perdre dans les détails médico-scientifiques, disons que le Dr. Zamboni émet l’hypothèse qu’une cause fondamentale de la sclérose en plaques, plutôt que d’être strictement d’ordre neurologique comme on l’avait cru jusqu’ici, aurait pour racine des anomalies dans les veines des patients: des « blocages » auraient lieu, qui causeraient une agglomération des globules rouges, et, en même temps, d’un surplus de fer. Ce fer qui finirait par causer une réaction auto-immune, déclenchant des inflammations à l’origine de la sclérose en plaques, et des effets qu’on l’on connaît. En débloquant des veines chez des patients, le Dr. Zamboni a déclaré avoir noté des améliorations, parfois spectaculaires. À noter qu’il n’en qualifie pas moins lui-même ces interventions d' »études-pilotes », qui doivent être davantage validées. Mais des nouvelles à ce sujet se sont répandues un peu partout, tant dans les médias que sur les réseaux sociaux. Et, au Canada, le public – à commencer, évidemment, par les malades et leurs proches – fait pression pour que les gouvernements autorisent rapidement la tenue d’études cliniques. Ceci, sans compter que bien des patients vont se faire traiter dans des endroits exotiques tels l’Inde, où l’application des méthodes expérimentales est pas mal plus « lousse »… et moins surveillée.

Mais laissons un moment la sclérose en plaques et le Dr. Zamboni, pour revenir à l’affaire Pat Burns. Lequel, on le sait, combat depuis un bon moment un cancer considéré comme incurable. Pour un résumé, minute par minute, du dérapage, allez voir, en  fin de ce texte ici, le fil des événements tel que retracé par la firme Influence Communication: en moins de trois quarts d’heure, Pat Burns était mort, puis ressucité. Et j’ajouterais: tué par Twitter, et ressucité par les médias traditionnels. Une bonne analyse de ce qui s’est passé peut être retrouvée dans ce texte du Globe and Mail. On y conclut ce qu’ont souligné beaucoup d’autres: le besoin d’aller vite à tout prix, alimenté par le flot d’informations continues et instantanées auquel nous nous sommes désormais habitués, ont poussé certains médias à se précipiter, en évacuant les principes de base du journalisme et de la vérification.

Le Dr. Paolo Zamboni, qui défend une théorie révolutionnaire: les réseaux sociaux incitent-ils à passer outre aux précautions habituelles?

Revenons maintenant au fameux traitement de la sclérose en plaques, et aux espoirs qu’il suscite… Espoirs grandement alimentés et propagés, on s’en doute, par les réseaux sociaux. Et, ainsi qu’on va le voir, au risque de dérapage et de l’abandon de certaines précautions élémentaires. Je vous recommande instamment d’écouter le reportage de dimanche dernier, fait par Yannick Villedieu, où le sujet est extrêmement bien résumé. Il y est question de médecine et de science, bien sûr, mais aussi beaucoup de réseaux sociaux.  Les deux interviewés, le Dr. Pierre Duquette et le Dr. Marc Girard, tous deux neurologues à la clinique de sclérose en plaques du Centre hospitalier de l’Université de Montréal (CHUM) expliquent pourquoi, si la théorie du Dr. Zamboni mérite d’être examinée sérieusement, il  faut en même temps éviter de s’emballer, et se lancer prématurément dans des traitements qui pourraient être inutiles, voire nuisibles.  Mais évidemment, ceux qui luttent et souffrent depuis longtemps sont bien peu portés à attendre et à se montrer prudents.  

Et les réseaux sociaux là dedans?  Voici quelques citations.

Marc Girard: « La tranche de gens qui sont en attente, qui sont au désespoir, ont été frappés par les présentations  faites à la télé et dans les journaux, où l’on parlait d’un breakthrough, un traitement miraculeux. L’histoire a débuté dans le courant de l’année 2009, et le tout s’est promené un peu sur les réseaux sociaux, Facebook, Twitter, etc. Mais tout a explosé quand la théorie du Dr. Zamboni a été présentée à l’émission W5, sur CTV.  Les gens sont regroupés sur les sites, peuvent communiquer entre eux, et réagissent rapidement aux nouvelles, quand il y a des décisions gouvernementales et des décision scientifiques. (…)C’est de là que partent aussi les moyens de pression auprès des organismes gouvernementaux « 

Ce qui se passe est, souligne-t-il, une première en médecine: «  C’est la première fois qu’on a affaire aux réseaux sociaux de cette façon. C’est le premier événementindicateur de ce qui va se passer à l’avenir. D’un côté, les gens ont ainsi une façon d’influencer la science, c’est positif. D’un autre côté, il y a des extrêmes qui sont véhiculés. Et malheureusement, on n’a pas ce qu’il faut pour contrer les extrêmes. » La science est, en effet, mal outillée pour exercer le même type d’influence. « La science finit toujours par avoir la réponse. Mais ça prend du temps. Et sur les réseaux sociaux, surtout sur une question comme  la sclérose en plaques, les gens sont pressés. Ils veulent des réponses rapides. Et  le délai que prend la science, ne répond pas à leurs exigences. »

On a déjà, souligne Pierre Duquette, agi précipitamment. « Cette théorie là, comme d’autres, mérite d’être évaluée. Et, avant de passer à une théorie vers le traitement, il faut valider cette théorie.(…) Ici, on est passé à d’une théorie (…) à des patients qui vont se faire traiter un peu partout, sans qu’on ait pris les rpécautions habituelles. » Tout cela pour des traitements qui ne sont pas si simples, et pour des effets somme toute loin d’être si spectaculaires.

Mais évidemment, ceux qui parlent de la sorte sont vite taxés d’être des rabat-joie, voire même de faire partie d’un vaste complot médico-pharmaceutique.  » Les histoires de complot, c’est majeur, dit Marc Girard. Sur le web, quand les gens ont des réponses négatives, ils pensent qu’on est contre eux, qu’on fait parie d’un complot pharmaceutique… (…) Mais ce n’est pas un complot, c’est la méthode scientifique. » Dans cette bataille, la science lutte à armes inégales. « C’est une masse, c’est un nombre important de patients qui se manifestent.  Et, dès que les gens ont des propos qui vont un peu contre la masse, ils se font rabrouer sur les sites internet. »  

Tout cela m’a porté à aller reprendre un livre qui traînait depuis un certain temps sur une de mes tablettes, et que j’avais parcouru rapidement à l’époque. The cult of the amateur, par Andrew Keen. Son livre est sous-titré: « how blogs, MySpace, YouTube and the rest of today’s user-generated media are destroying our economy, our culture, and our values.  » Ça donne une idée…

Et donnons juste un petit extrait de l’introduction: « Blogs have become so dizzyingly infinite that they’ve undermined our sense of what is true and what is false, what is real and what is imaginary. These days, kids can’t tell the difference between credible news by objective professional journalists and what they read on joeshmoe.blogspot.com. For those Generation Y utopians, every posting is just another persons’ version of the truth; every fiction is just another person’s version of the facts. « 

J’imagine que plusieurs des lecteurs de ce blogue connaissent déjà le propos d’Andrew Keen, qui se désigne lui-même comme « L’Antéchrist de Silicon Valley ». Certains l’ont peut-être même abondamment critiqué. Quoiqu’il en soit, je vais pousser plus loin ma lecture. Je vous en reparlerai. D’ici là, n’hésitez évidemment pas à me dire ce que vous en pensez.

  1. Merci. Que de délicatesse dans un texte qui invite à réfléchir avant d’appuyer sur RT… :-)

  2. « Et j’ajouterais: tué par Twitter, et ressucité par les médias traditionnels. »

    Selon le texte d’InfoPresse que vous citez, le premier tweet semble être celui de TSN. TSN est un « média traditionnel ». Dire que c’est la faute de Twitter c’est comme dire que c’est la faute du câble, du satellite ou des oreilles de lapin.

    Twitter est le canal. La source de l’info était TSN.

    MS

  3. @Marc Snyder: c’est très juste. L’idée m.avait d’ailleurs traversé l’esprit, au moment même où j’écrivais cette phrase… Je l’ai quand même écrite parce que… Il reste que, on s’aperçoit que même les médias comme TSN se permettent des choses sur Twitter qu’elles ne se permettraient pas dans leurs canaux « traditionnels ». Il y aura d’ailleurs lieu de revenir sur l’influence -pas seulement négative, c’est sûr, mais loin d’être uniquement positive – qu’ont les « patterns » installés par les réseaux sociaux sur l’univers des médias.

  4. Josée Desrosiers

    Je suis tout à fait d’accord avec le commentaire de Marc Snyder en lien avec le texte du 23 septembre sur les médias sociaux. Le joueur majeur ici c’est la télé. Les médias sociaux représentent un moyen de communication très efficace, mais la diffusion de l’information passe encore par la télé. Et selon les études, cette réalité ne changera pas à court terme. L’analyse de Marie-Claude Ducas me semble un peu simple et peut-être faite… rapidement.

  5. Par hasard, je tombe sur votre blogue en cherchant des informations sur les couts sociaux de la sclérose en plaques. Et oh! Bonheur! QUelqu’un de posé sur la question Zamboni.
    Étant moi meme atteinte de SP, je suis le débat avec tristesse. Hebdomadairement, je fais ma  »revue » des médias sociaux sur la question. Que de folie; interprétation erronée de publications scientifiques, agessivité, etc. Et lorsque l’on regarde de plus pres, les effets du traitement ne sont pas vraiment intéressant et surtout analysé avec peu de recul.
    La nature meem de cette maladie, qui progresse par poussées rémissions fait que cela est extremement difficile de mesurer les biens faits d un traitement a court terme. L’effet placebo et nacebo sont souvent présentent dans la SP. Comme disent les neurologues, l’oratoire St-Joseph est rempli de béquilles de sepien!

    La question que me turlupine, c’est comment aurait du réagir la Société de sclerose en plaques du Canada? Au début de cette saga, elle a pris le parti de la science. Mais les réseaux sociaux et les journalistes en manquent de nouvelles ont eu raison d’elle. La SCSP a du dégager un budget important pour faire des études sur cette théorie et par le fait meme, ces fonds n’iront pas a la recherche, disons plus prometteuse. De plus, via les réseaux sociaux, les malades ont démarré une campagne contre la SCSP qui risque donc de voir ses levées de fonds moins importantes que les années passées.

    COmme il était mentionné, c est la premeire gueurre médias sociaux – science.

    COmment aurait du réagir la SCSP et les instances scientifiques dans ce dossier? Il est important d’apprendre de cette saga.

  6. Vrai ou faux? Là est la question « LE BLOG DE JULIEN - pingback on 8 novembre 2010 at 18 h 53 min

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