Cannes 2010: l’univers de 99F est bel et bien mort

Aussi bien le dire tout de suite: c’est la première fois que j’assiste aux Lions de Cannes. Pas question, donc, d’essayer de parler ici de tendances, d’évolution, de comparer aux Lions du passé. Encore que.

Le nouveau credo de la pub selon R/GA: Reimagine. Redesign. Rearchitect. Et nous?

Je peux quand même comparer à ce que je m’imaginais, à partir de ce que j’ai entendu, vu, lu. Entendu, depuis le temps que je couvre ce domaine – et, comme je viens de dire que c’est la première fois que je viens ici, cela m’embarrasse un peu de vous dire combien d’années au juste-, de la part de divers vétérans du milieu, sur l’air de « il faut aller à Cannes, comme on va aux Jeux Olympiques, pour se comparer à ce qui se fait de mieux dans le monde, pour se rendre compte des futures réalités, pour essayer de gagner, etc. » Vu, dans quelques reportages télé et sur le web. Et lu, évidemment, dans des médias, tant généralistes que spécialisés. Et aussi dans le célèbre roman 99F, de Frédéric Begbeider, qui décrivait de façon féroce et désopilante le milieu de la pub, avec évidemment un épisode aux incontournables Lions de Cannes.

99 FRANCS, de Frédéric Beigbeder: un univers en voie de disparition

Et c’est exactement là où je veux en venir: la réalité publicitaire, qui est la trame même de ce roman publié en 2000, et adapté pour le cinéma en 2007 (il y a trois ans à peine !), est morte, morte, morte. Ou à la rigueur, dans certains endroits, moribonde, et branchée sur le respirateur artificiel. Plus question de ce fameux conflit entre le-client-borné-et-bêtement-conservateur d’un côté, et, de l’autre, le-créatif-allumé-qui-veut-amener-un-peu-de-fantaisie-et-d’illumination-aux-masses-laborieuses-des-consommateurs. Plus question de ces fameux tandems « creative-director/art-director », qui brainstorment comme des malades, – tombant parfois dans l’enfer de la dépression et de la drogue,- à la recherche de la grande idée et qui, du haut de leur génie, dicteront le prochain trend, ou, à tout le moins, la prochaine saveur du mois.

Je ne dis pas que tout cela ait disparu… ni même, en fait, que cela ait été tellement représentatif de la « vraie réalité » de la pub. Mais ce qui est sûr, c’est que ce n’est plus du tout ce qui est au centre des préoccupations. Et l’avenir, clairement, est ailleurs. Les réseaux sociaux ont tout fait exploser.

Il n’y a qu’à voir les gagnants qui ont été annoncés depuis le début du Festival: le gagnant du Grand Prix en Lions « Promo & activation » (« Replay », pour Gatorade »), gagne aussi en PR. Il aurait aussi bien pu se qualifier en Cyber: il y a une importante composante virale. Et peut-être aussi, à la rigueur, en Film. Je prend cet exemple mais il y en a une multitude d’autres. Plus rien n’est cloisonné. Comme on aimait à le dire dans les années 60, « toute est dans toute ». Et tout cela se voit, s’entend, se sent, dans les séminaires et conférences programmés mur à mur. Autant avec un Mark Zuckerberg couronné « Personnalité média de l’année » – pour avoir une idée de l’événement, je vous invite instamment à lire le billet de mon collègue Arnaud Granata sur le sujet – qu’avec des leaders de la pub, autant dans des agences émergentes comme R/GA, que chez celles issues de la « vieille école » comme Leo Burnett: plus question de faire quoi que ce soit, maintenant, sans penser à l’implication, initiale et totale, des consommateurs. Et les présentations foisonnent d’exemples géniaux à cet égard.

Je reviendrai au autre jour sur le moment surréaliste que nous a fait vivre le tandem Ben Stiller/Jeff Goodby, pourtant un des événements les plus attendus du Festival.

 Et d’ici là, je me pose tout de même une question: combien de gens, dans le milieu québécois des communications, sont vraiment imprégnés de cette nouvelle réalité ? Faisons-nous partie des endroits qui s’affairent à préparer, pour la « vieille » communication, un enterrement décent, ou sommes-nous de ceux qui nous acharnons à vouloir la maintenir sur le respirateur artificiel ?

J’ai encore toute une série de questions et d’observations en réserve, après quelques jours de ce baptême des Lions de Cannes. Mais ce sera assez pour aujourd’hui. Et une chose qui, elle, ne semble pas avoir changé, c’est le statut conféré au célèbre bar du Martinez comme point de ralliement. Quant à savoir si c’est vraiment vrai…  Je vais me permettre d’aller voir moi-même de quoi il retourne.

  1. Bonjour madame Ducasse,

    Votre billet est très intéressant. Je n’ai pas de difficulté à croire que les façons de faire de la pub aient été révolutionnées en moins de 10 ans et que cette scène du filme 99F sur le pot de yahourt soit dépassée (encore que…). Par contre, connaissant l’atmosphère générale dans les entreprises françaises, je ne suis pas sur que l’ambiance au sein des agences ait beaucoup évolué.

  2. Marie-Claude Ducas: Retour sur Cannes, egos et trips créatifs 2.0 - pingback on 13 septembre 2010 at 2 h 30 min

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