Précieuse expérience

Il se passe rarement plus d’une journée sans que l’on entende parler de compressions et de mises à pied, dans les entreprises de communication comme ailleurs.

Et ce n’est sans doute pas fini. Malgré tout, le climat, ici, n’est pas entièrement sombre. Et l’on est loin, heureusement, de céder à la panique ou à la déprime.

D’une part, ce qui était vrai il y a quelques mois demeure : le Québec s’en sort mieux qu’ailleurs, y compris ailleurs au Canada. Les raisons n’en sont pas seulement glorieuses : c’est en partie parce que, ces derniers temps,notre performance économique n’était pas si reluisante. On n’était pas ici dans le genre de « bulle » que l’on voyait dans l’Ouest, par exemple. On tombe de moins haut, finalement. Et on a déjà encaissé le genre de coups durs que d’autres économies subissent maintenant. On a déjà commencé à se réajuster.

Si cette crise ne ressemble à aucune autre, c’est aussi parce qu’elle va de pair avec un changement de fond qui s’opère, et depuis un bon moment, dans les communications et les médias. Oui, il y a des dommages collatéraux très dérangeants. J’y reviendrai plus loin. Mais c’est aussi, comme souvent dans ces cas-là, l’occasion de remises en question.

Et d’ailleurs, cette réelle « lame de fond » qui agite l’univers des médias arrive aussi moins vite, et avec moins de violence, au Québec qu’ailleurs.

On continue de voir ici, année après année, des taux d’écoute renversants en matière de télévision traditionnelle et des journaux qui se maintiennent mieux qu’ailleurs, pour ne mentionner que ces deux exemples. « Simple délai, dû entre autres à la barrière de la langue, entend-on souvent. Ce qui se passe aux États-Unis arrive toujours ici par la suite. » C’est vrai.

Mais avec cela, justement, le Québec n’est-il pas un exceptionnel laboratoire ? En étant assez informés et sages pour anticiper ce qui se passe partout dans le monde, on peut profiter de la formidable pénétration des médias ici, et de la santé relative des entreprises, pour se réajuster intelligemment.

D’ailleurs, les États-Unis ne sont pas toujours en avance sur tout. Lors d’une récente Journée Infopresse, Juan Antonio Giner, consultant international en matière d’innovation dans les entreprises de presse, s’indignait de la piètre qualité d’impression des quotidiens américains. Ici, par comparaison, les journaux ont fait des sauts quantiques à ce chapitre, et depuis un bon moment.

Tout cela, évidemment, représente un bien mince réconfort pour ceux dont le poste a été aboli, ceux dont l’emploi est menacé ou, tout bonnement, ceux qui se sentent parfois perdus et dépassés par les changements. Ce genre de « dommages collatéraux » touche les individus, mais aussi les entreprises. Pensons simplement aux conflits de travail, comme celui qui oppose la direction du Journal de Montréal et ses employés : les plaies seront longues à guérir, et il y aura du travail à faire pour rebâtir une culture d’entreprise.

Les propos tenus par Malcolm Gladwell, dans son récent livre Outliers, et dans l’entrevue qu’il a donnée lors de son passage à Montréal, deviennent d’autant plus actuels. Il souligne par exemple le caractère crucial, pour les entreprises, de tabler sur l’expérience, de développer et d’entretenir une culture forte. Cela peut soulever des questions, quand on voit les « grands nettoyages » auxquels les entreprises se livrent : lesquels seront faits de façon éclairée, en recentrant vraiment autour de la mission, et lesquels seront faits à courte vue, en évacuant au passage une précieuse expérience ?

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