La Presse, les journaux, et la fin de "l'exception québécoise"

La une de La Presse aujourd'hui : à quoi ressemblera le journal dans les prochaines années ?

La une de La Presse aujourd'hui : franchement, pourrait-on compter sur les blogueurs ou sur le "journalisme citoyen" pour mener à bien ce genre d'enquête ?

On est parfois amenés à revisiter ce qu’on avait écrit par le passé… et parfois avec moins de plaisir que d’autres. C’est hélas le cas aujourd’hui. Mais je me sentirais vraiment imposteur si j’évitais de revenir sur cet édito, publié dans Infopresse de juin 2008, il y a donc tout juste un an. J’y mentionnais notamment des tendances encourageantes en ce qui concernait les journaux, entre autres au Québec, mais aussi, en général au Canada. En m’appuyant entre autres sur des commentaires de Edward Greenspon, alors  rédacteur en chef du Globe and Mail, dans le cadre de Future Flash, la conférence annuelle de l’ Institute of Communication Agencies. Celui-ci y faisait état de la bonne performance, en général, des journaux canadiens (à commencer par le Globe and Mail, naturellement), entre autres à cause de leur compétence et leur rapidité à développer des modèles qui intégraient le web. Performance qui avait d’ailleurs été encensée par le réputé financier américain Warren Buffett.

Un an plus tard, je n’écrirais évidemment plus la même chose. Il reste quand même vrai qu’on ne collectionne pas, ici, des exemples aussi dramatiques que ce qu’on a pu voir aux États-Unis… Mais pour combien de temps encore ? La question a toujours été là. Mais maintenant, elle nous arrive en pleine face : la crise des journaux, amplifiée et accélérée par la crise économique, frappe de plein fouet ici aussi.  

Il n’y a plus grand-monde ici qui ignore l’essentiel des annonces faites hier par La Presse, propriété de Gesca  : pertes de l’ordre de 25 millions$ (un peu plus ou un peu moins, selon la source) à éponger, et coupures, à commencer par l’abolition de l’édition du dimanche. Je n’en dirai pas plus: les textes qui synthétisent la situation abondent, à La Presse même, sur Infopresse, comme à divers autres endroits.  Gesca possède aussi, entre autres, Le Soleil à Québec, Le Nouvelliste à Trois-Rivières de La Tribune à Sherbrooke, qui ne sont pas non plus épargnés. Et, pour revenir à Montréal, a-t-on besoin de rappeler le lock-out du Journal de Montréal, de Quebecor, et les difficultés de Canwest, propriétaire de The Gazette ?

Ailleurs au Canada, le  National Post, aussi de CanWest, avait déjà annoncé la prochaine interruption de son édition du lundi… seulement pour l’été, pour l’instant. Quant au Globe and Mail… il y a trois semaines, on apprenait justement le départ Edward Greenspon, qui était rédacteur en chef depuis cinq ans, remplacé par John Stackhouse, qui dirigeait jusque-là la section Report on Business. La nouvelle avait causé sa petite commotion dans les cercles médiatiques canadiens-anglais, l’annonce survenant à peine quelques jours après qu’on ait vu Edward Greenspon, dans un court vidéo sur le site du Globe and Mail, présenter et expliquer la refonte du site web du quotidien…

Pour mettre au point la formule et le modèle d’affaires qui tiendra la route, tous les patrons de médias tâtonnent, ce n’est pas nouveau, et ce n’est pas fini. La question qui se pose, avec de plus en plus d’acuité, et même d’urgence, c’est : comment financera-t-on au juste l’information ?

Par un drôle de concours de circonstances, j’assistais ce matin, dans les bureau de Cossette, à la présentation d’une étude réalisée par le Centre d’étude sur les médias (rattaché à l’Université Laval), portant sur les changements, chez les Québécois, dans les moyens de consommer l’information. Étude que Cossette a complétée par un sondage internet, réalisé pour l’ensemble du Canada. On reviendra plus en détail sur le contenu de cette étude, tant sur ce blogue que sur le site de Infopresse.  Mais ce qu’il est intéressant de noter, c’est que, à l’occasion de la présentation (assumée du côté du CEM, par Florian Sauvageau et le sondeur Michel Lemieux, et du côté de Cossette, par Pierre Delagrave et Luc Cormier), on avait invité des acteurs du milieu des médias à venir réagir: l’éditeur Bernard Descôteaux et le journaliste Paul Cauchon du Devoir, Yann Pineau et Pierre Arthur de La PressePatrick Lauzon de Canoe/Sun Media, Patrick Pierra de Branchez-Vous ! , Alain Saulnier de Radio-Canada, et plusieurs autres…

Et il émergeait, une fois de plus que la question des modèles d’affaires a, oui, des incidences économiques, mais aussi des répercussions sociales, et compte même des enjeux pour la démocratie. Pour rester sur l’exemple de La Presse : pourra-t-on financer longtemps des enquêtes qui donnent lieu à une manchette comme celle d’aujourd’hui, sur la corruption à l’hôtel de ville ? La question s’applique à toutes les enquêtes semblables, dans une pléthores de journaux. Ce ne sont pas des blogueurs qui peuvent faire un tel travail…  

Et franchement, je n’ai pas encore vu de réponse satisfaisante, y compris chez les apôtres du web. Même si Michel Dumais, sur Mediabiz.branchez-vous, fait une analyse intéressante de la situation…  Tout le monde frappe le  même mur : les revenus générés par le web ne compensent pas pour les pertes encourues par la disparition des annonceurs « papier ». 

Et je vais conclure par le propos tenus par quelqu’un que beaucoup se feraient sans doute un plaisir de qualifier de « dinosaure » : Morley Safer, journaliste d’origine canadienne, qui a fait sa marque à la réputée émission d’enquête 60 minutes, à CBS. Dans un article publié cette fin de semaine dans le Globe and Mail, à l’occasion d’un hommage qui lui est rendu, il déclare entre autres : « ce que bien des régimes répressifs ne sont pas arrivés à faire, l’économie y arrive, à savoir: faire taire la presse. » 

Il se montre aussi très critique à l’endroit des blogues et des blogueurs, et a déjà déclaré à quelques reprises:  « je ferais confiance à un « journaliste citoyen » de la même façon qu’à un « chirurgien citoyen »!   Mais, contrairement à ce qu’on voit parfois, ses critiques, à mon humble avis, sont faites avec à-propos, et pour de bonnes raisons. Exemple (je mets ses propos en anglais, car je trouve que la traduction que j’avais tentée ne rend pas justice): 

« You have your career. You have your reputation. There is a structure behind you. There is accountability, in terms of the courts. I mean, there’s every conceivable kind of structure and control available to put things right, whether it’s the judiciary or the sheer weight of economic investment that somebody puts into not only bricks and mortar, but salaries and everything else. You are forced, at least to some extent, to be responsive [as a working journalist]. (…) I mean, there are all kinds of tests that we go through. Of course, there’s no licence [to be a journalist], but we are tested in many ways, simply by the structure of the craft. And if you screw up often, you won’t be doing it any more. »

 

  1. Médias | Un avenir… peu reluisant! « Le blog branché[!] - pingback on 19 juin 2009 at 10 h 20 min

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