La commandite, le "vrai monde", Rio Tinto, Alcan et le jazz

OK, c’est un peu étirer la vérité  de parler de « vrai monde » pour le débat qui, ce matin, impliquait les chroniqueuses Nathalie Petrowski, Josée Legault, et le député de l’opposition François Legault à l’émission de Christiane Charette à Radio-Canada (le point qui nous intéresse commence à 16 min. 44 sec.). Idem pour un édito Marie-Andrée Chouinard dans Le Devoir. Mais quand même: les questions soulevées ce matin, dans la foulée du débat autour de la nouvelle Maison du Festival Rio Tinto Alcan (consacrée au jazz, même si c’est vrai qu’il faut le savoir, n’est-ce pas?), rejoignent des points qui sont immanquablement soulevés dans le public quand il est question de commandites: jusqu’où aller en terme d’exploitation ? Qu’est-ce qui va faire la différence entre ce qui sera perçu comme une visibilité « géniale », et une grossière intrusion dans l’espace public ?

La scène Rio Tinto Alcan au Festival de Jazz l'an dernier : qu'est-ce qui est accepté, qu'est-ce qui ne l'est plus ?

La scène Rio Tinto Alcan au Festival de Jazz l'an dernier : qu'est-ce qui est accepté, qu'est-ce qui ne l'est plus ?

Coïncidence: la Journée Infopresse sur la commandite  avait justement lieu avant-hier. Intéressant de voir comment le discours véhiculé dans les médias grand public a le don de nous ramener au ras des pâquerettes. (Je dis tout de suite que je n’ai assisté à la journée qu’en partie; j’ai notamment manqué la table ronde.)

D’abord : en commandite, discipline relativement jeune, il semble qu’il y ait encore du chemin à faire pour bien définir la nature de la bête, et la distinguer du mécénat, par exemple. Ensuite: la commandite est, tout bonnement, rattrapée par ce qui cause des maux de tête à partout aileurs en publicité : saturation du public, méfiance et cynisme par rapport à toute opération commerciale. Et finalement: sous nos latitudes, le mot « commandite » reste encore, (eh oui!) étroitement associé au mot « scandale ». On l’oublie… mais écoutez ce qui se dit à Christiane Charette à partir de 23 min. 30 sec. dans l’émission, vous allez frémir.

Dans Le monde de fusion, le tout nouveau blogue de cette division de Cossette, Pascale Chassé s’indigne des protestations autour des noms de la Maison Rio Tinto Alcan, et de la Salle l’Astral. « Je ne comprends pas pourquoi on ne félicite pas plutôt ce geste », écrit-elle, ajoutant : « Aujourd’hui les marques ne sont plus de simples marques de commerce mais des citoyens qui contribuent au rayonnement de la culture et qui souhaitent interagir avec leur public cible. Non, la commandite n’est pas du mécénat, c’est un geste de communication et personne ne s’en cache, ce geste est fait avec une grande authenticité. »

Sur le fond, bien sûr, elle a raison. Mais, pour ressortir le vieux cliché, en communication, « perception is reality« . Qu’est-ce qui fait que les appellations « Centre Molson« ,  « Centre Bell« , n’aient pas soulevé de telles polémiques ? Parce qu’on accepte davantage ce genre de réalité dans l’univers du sport ? Pourquoi personne ne poussait les hauts cris sur le « Théâtre Alcan » à l’époque ? (Non, je n’ai pas l’âge d’avoir connu ça. Mais mes parents m’en ont parlé. Bon.) Est-ce parce qu’Alcan était québécois, et que le nom Rio Tinto nous remet en face de cette vente, à des intérêts étrangers, de ce qui était un de nos fleurons économiques ? Il y a dans tout cela beaucoup d’intangible, de fines lignes, de subtilités. Les gens de commandite ne risquent pas de s’ennuyer.

  1. La commandite s’insinue partout.
    Idem pour les blogues, récupérés par des agences de pub…

    À multiplier les plateformes, on peut se demander si on rejoint vraiment le public ciblé…

  2. Madame Ducas, vous m’excuserez de ne prendre position ni à gauche, ni à droite. Dans toute cette histoire, je m’interroge plutôt sur les montants investis par les gouvernements et l’industrie privée pour «donner» au groupe Spectra une maison du jazz alors que cette entreprise possèdent de filiales fort lucratives qui, à ce que je sache, n’ont pas mis un sous noir dans l’affaire.

    On comprendra que je ne parle pas de l’OSBL, un machin fort pratique pour les subventions, mais des autres sociétés détenues par Spectra et sur lesquelles on ne sait fort peu de chose. Je serais étonné, mais je peux me tromper. que l’ensemble des sociétés appartenant au groupe Spectra soient déficitaires. Et la même chose s’applique aux entreprises de monsieur Rozon. Qu’on aide l’entreprise privée, soit, qu’on investisse dans la culture, ça va de soi, mais où est la limite ici?

  3. Dans le débat actuel qui décrit la commandite de la nouvelle Maison du Festival Rio Tinto Alcan pour le Jazz comme un glissement du groupe Spectra vers la surcommercialisation de la culture, j’aimerais ajouter quelques contre-arguments.

    Objectivement, il faut aussi considérer que
    • c’est un exploit de convaincre une grande entreprise d’investir un montant aussi important en culture ces temps-ci;
    • la Maison du Festival Rio Tinto Alcan n’est pas différente du théâtre Du Maurier, du théâtre Stella Artois, du théâtre Telus, du théâtre Hydro-Québec, du centre Bell ou de l’Air Canada Center. Il s’inscrit donc dans une tendance internationale (naming rights). Et, Dieu merci, la culture en bénéficie, pas seulement le sport;
    • il est essentiel, pour poursuivre le développement culturel grand public de Montréal, de créer de vrais bénéfices pour la population et de permettre à Montréal d’être un joueur majeur grâce à ses grands événements de réputation mondiale;
    • c’est une tendance normale pour un petit marché qui doit se battre contre des voisins plus riches et plus nombreux.

    Il faut aussi se rappeler que le vrai test sera celui du public qui s’en formalisera ou non, selon la qualité du produit fini et non pas en fonction du nom au-dessus de l’enseigne. Et fort est à parier que le public sera heureux qu’une grande entreprise ait investi des ressources financières à Montréal plutôt qu’à Toronto, New York ou Dubaï.

    Rappelons-nous aussi qu’il n’y a pas si longtemps, les bandes de la patinoire du Forum étaient toutes blanches. Les nombreux logos qui les tapissent aujourd’hui au Centre Bell ne causent aucun problème au public fort nombreux qui le fréquente.

    En terminant, arrêtons d’assimiler le « vrai monde » au « petit monde ». Le peuple d’ici est maintenant grand et puissant. Il est doté d’un excellent jugement et ne manque pas de moyens pour se faire respecter en cette ère du 2.0

  4. Monsieur D.

    Permettez-moi de répondre à votre questionnement, d’autant plus qu’il était doublé d’une insinuation sans fondement « …sur les montants investis par les gouvernements et l’industrie privée pour «donner» au groupe Spectra une maison du jazz alors que cette entreprise possède des filiales fort lucratives qui, à ce que je sache, n’ont pas mis un sou noir dans l’affaire.»

    Sachez, que la Maison du Festival Rio Tinto Alcan n’est pas du tout «donnée» à l’Équipe Spectra qui est une société totalement distincte de la société sans but lucratif du Festival International de Jazz de Montréal avec laquelle toutes les transactions doivent être effectuées en vertu d’un code d’étique approuvé par les gouvernements. De plus, cet édifice demeure la propriété du gouvernement du Québec qu’il offre au Festival International de Jazz de Montréal via un bail emphytéotique de 20 ans (renouvelable) afin de créer cet équipement culturel majeur qui profitera à tous. De plus, le gouvernement du Québec, a confirmé une subvention de 10 000 000 $ pour aider à rénover son édifice historique situé dans le Quartier des spectacles. Comme l’édifice Blumenthal était jusqu’à présent laissé à l’abandon, cet investissement sera rentable pour la collectivité puisqu’il deviendra une attraction culturelle et touristique incontournable.

    Ce projet de 17 000 000 $ est également financé par le gouvernement fédéral et des commandites privées que nous nous étions engagés à trouver, ainsi que par le Festival International de Jazz de Montréal. Pour contribuer financièrement à sa rénovation, ce dernier a même dû contracter un emprunt de 3 000 000 $, ce qui n’aurait pu être possible sans l’endossement bancaire irrévocable de l’Équipe Spectra qui n’en tirera pourtant pas de profits puisque c’est le Festival qui en assurera l’opération à l’année. Ce nouvel équipement culturel est donc totalement sans but lucratif et les revenus tirés du restaurant, de la salle de spectacles et d’autres activités qui s’y tiendront seront entièrement dédiés à ses activités gratuites, notamment dans la salle d’exposition et la médiathèque qui seront accessibles au grand public à l’année.

    Enfin, prenez également note que les gouvernements, en subventionnant partiellement la tenue des grands Festivals comme le Festival International de Jazz de Montréal, permettent à toute la communauté de bénéficier des retombées qu’ils génèrent en présentant des activités gratuites dont ils défraient tous les coûts avec l’appui de leurs commandites privées.

    Enfin, comme l’a démontré une étude de la firme CFM Stratégies en 2007, le Festival génère annuellement plus de 102 914 000 $ en retombées économiques totales, retourne en revenus fiscaux et parafiscaux au gouvernement du Canada plus de 6 900 000 $ et en Revenus fiscaux et parafiscaux du gouvernement du Québec plus de 14 700 000 $, soit bien plus que ce qu’il reçoit en subventions !

    Et c’est sans compter le bonheur généré à nos concitoyens et les dizaines de millions de dollars en retombées d’images positives pour Montréal, le Québec et le Canada à l’étranger.

    Monsieur D. , je souhaite que ces quelques lignes aient permis d’éclairer votre analyse et vous donne l’occasion de prendre part, avec fierté, au plus important Festival de Jazz au monde; un lieu où toutes les langues sont permises, où la musique est reine et où Montréal fait sacrée bonne figure année après année!
    Amitiés !

    Jacques-André Dupont
    Vice-Président Marketing
    Festival International de Jazz de Montréal

Laisser un commentaire