Qui étaient les vrais Mad Men ?

Les médias sont devenus littéralement gaga à l’approche de la saison 5 de Mad Men, qui débute ce dimanche 25 mars sur la chaîne américaine AMC, et on n’a sûrement pas fini d’entendre parler de la série. Campée dans les coulisses de l’agence de publicité fictive Sterling Cooper à New York au début des années

Draper Daniels / Don Draper

Draper Daniels (à gauche), créateur publicitaire de Chicago, aurait été l’inspiration de départ pour le personnage de Don Draper.

soixante, Mad Men fascine, entre autres, par ses remarquables évocations de la réalité de l’époque : sexisme latent et débuts du féminisme, tensions raciales, bouleversements politiques… Mais à quoi ressemblaient VRAIMENT les personnages qui ont inspiré les auteurs de Mad Men? J’ai déjà fait un tour d’horizon, publié sous forme de galerie de portraits dans le Huffington Post Québec.

 

Je le reprends dans ce texte, en commençant par celui qui est réputé avoir servi de modèle pour Don Draper, le personnage principal de Mad Men:

Draper Daniels (1912-1983) : Celui qui aurait inspiré le personnage de Don Draper, le tourmenté directeur de création de Sterling Cooper, n’a pas vécu et travaillé sur la légendaire Madison Avenue à New York, mais plutôt à Chicago. D’abord concepteur publicitaire, il sera directeur de création à l’agence Leo Burnett, où un de ses hauts faits d’armes est la légendaire campagne pour les cigarettes Marlboro (avec les cowboys). Il est d’ailleurs question de cette campagne dans Mad Men : Sterling Cooper a pour client un concurrent direct, Lucky Strike. Et oui, tout comme Don Draper, il semble que Draper Daniels était enclin à boire, fumer et draguer…du moins jusqu’à ce qu’il rencontre sa seconde femme, si on en croit ce qu’elle racontait ici en 2009, dans Chicago Magazine. Et on peut lire ici, toujours dans Chicago Magazine, le portrait  qu’elle traçait de Draper Daniels.

David Ogilvy (1911-1999) : La BBC lui a consacré en 2008 un documentaire intitulé The Original Mad Man. Personnage séduisant et flamboyant, Ogilvy n’aurait en effet pas détonné dans le voisinage de

David Ogilvy

David Ogilvy: « the original Mad Man », aux yeux de certains

Sterling Cooper. Ses livres, en particulier Confessions of an advertising man (Les confessions d’un publicitaire, 1963) et Ogilvy on advertising (La publicité selon David Ogilvy , 1984) l’ont rendu célèbre. Il est expressément mentionné dans Mad Men alors que Roger Sterling, patron de Sterling Cooper, émet des commentaires doux-amers sur les Confessions, puis tente de convaincre un éditeur que son autobiographie est « bien meilleure que le livre de Ogilvy ». Écossais d’origine, concepteur publicitaire autodidacte et fondateur de l’agence Ogilvy & Mather, David Ogilvy a engendré nombre de campagnes légendaires, entre autres pour American Express, Rolls-Royce, Schweppes, Shell et Maxwell House. Ses «Confessions», où il dévoile bien des aspects liés à la réalité de la pub, sont rédigés sous forme de conseils : comment diriger une agence, comment garder ses clients, comment faire des grandes campagnes, etc. Beaucoup de ces conseils sont justement ceux transgressés par les Mad Men de la série. Par exemple: ne vendez pas un produit dont vous n’êtes pas vraiment fier; et ne laissez pas un client prendre une importance telle que sa perte mettrait l’agence en danger…

Bill Bernbach (1911-1982): Autre célébrité de la pub, créateur publicitaire lui aussi, il est l’un des

Bill Bernbach

Bill Bernbach: anti-Mad Man et idole des créatifs

fondateurs de l’agence Doyle Dane Bernbach (DDB), que l’on associe étroitement à la « révolution créative » en publicité au début des années 60 : sa grande gloire reste la campagne qui a lancé la célèbre Volkswagen Coccinelle aux États-Unis en la présentant sobrement, avec des titres tels « Think small » et « Lemon ». La campagne est expressément mentionnée dans la série. Mais en fait, Bill Bernbach est une sorte d’« anti-Mad Man » : Juif dans ce qui était encore un milieu largement WASP (White Anglo-Saxon Protestant), il était aussi un homme équilibré, à l’aspect effacé, et dénué de toute excentricité. Père de famille rangé et dévoué, il se targuait de passer chez lui ses soirs et ses week-ends, à l’opposé des noceurs invétérés tels qu’on les voit dans Mad Men (et des bourreaux de travail qu’étaient, dans la réalité, la majorité des grands publicitaires). Ajoutons que Bernbach reste toujours une sorte d’idole pour bien des créateurs publicitaires d’aujourd’hui.

Shirley Polykoff (1908-1998) : Il y en a eu à l’époque, et plus qu’on serait portés à le croire, des

Shirley Polykoff

Shirley Polykoff, une des quelques figures féminines dominantes en publicités dès les années ’60.

« Peggy » , c’est-à-dire des femmes qui ont acquis statut et pouvoir dans cet univers de la pub. C’est Shirley Polykoff qui aurait servi de modèle pour Peggy Olsen qui, dans Mad Men, devient directrice de création après avoir débuté comme secrétaire. Polykoff qui accédera au poste de vice-présidente exécutive de l’agence Foote Cone & Belding (FCB), reste avant tout célèbre avec sa campagne pour les colorants capillaires Miss Clairol. À l’époque, colorer ses cheveux était vu comme l’apanage des mannequins, des actrices, sinon des femmes à la vertu douteuse… mais sûrement pas de l’Américaine moyenne. Polykoff allait révolutionner cette notion avec le slogan « Does she, or doesn’t she? (…)Only her hairdresser knows for sure!»)  («Seul son coiffeur le sait »), et faire exploser les ventes pour Clairol. Voyez d’ailleurs ici  l’ampleur de cette révolution, telle qu’expliquée par Malcolm Gladwell.

Une des légendaires pubs de Doyle Dane Bernbach pour Volkswagen

 

 

 

La révolutionnaire campagne de Shirley Polykoff pour Miss Clairol

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

J’ai bien l’intention de revenir plus en longueur sur ces héros de la pub, de même que sur d’autres, et aussi sur divers aspects de la publicité américaine ces années-là.

D’ici là, n’hésitez pas à partager avec moi vos connaissances sur l’univers des « vrais » Mad Men.

  1. Un grand oublié demeure souvent Howard Luck Gossage, aussi surnommé «The Socrates of San Francisco». Il serait à l’origine d’un style publicitaire dit «West Coast», ayant inspiré, notamment, Jeff Goodbye. Pourfendeur notoire du monde traditionnel de la pub, il a signé de nombreuses publicités sociétales —il serait à l’origine de la création du Jour de la Terre, à l’occasion d’une campagne de l’époque visant à sauver le Grand Canyon d’un projet industriel— en plus de concevoir nombre de stunts et de campagnes décalées telles que «Pink Air» (pour la pétrolière Fina). Plus qu’un publicitaire, il s’agit d’un grand penseur du 20e siècle qui traînait avec des contemporains aussi grand que John Steinbeck, Tom Wolfe et Marshall McLuhan.

    Quelques-unes de ses campagnes:

    http://www.adbuzz.com/earthday/images/GrandCanyon2.jpg
    http://www.adbuzz.com/OLD/fina.html
    http://www.adbuzz.com/OLD/GossageGallery/EagleA.jpg
    http://www.adbuzz.com/OLD/GossageGallery/AirplaneAd1.jpg
    http://www.adbuzz.com/OLD/GossageGallery/SweatStahl1.jpg

  2. Dany Baillargeon

    Bien qu’on ait tendance à idéaliser la créativité de ces légendes – à juste titre – il vaut la peine de regarder aussi le contexte socioéconomique derrière leur ascension.

    À ce chapitre, lire la dernière édition de Newsweek dédiée aux Mad Men. Le célèbre hebdomadaire, dont les apparitions sont fréquentes dans la série, revient sur la zeitgeist de l’époque Bernbach, Ogilvy et consort, avec une maquette graphique revue pour refléter le style de l’époque.

  3. la spirale | comment écrire par David Ogilvyla spirale - pingback on 12 février 2015 at 2 h 43 min

Laisser un commentaire

Trackbacks and Pingbacks: