Étudiants, printemps québécois et révolte perpétuelle: sommes-nous prisonniers des années 60?

Il y a quelque chose de vraiment déplacé à utiliser l’expression « printemps québécois », pour évoquer le « printemps arabe » de 2011, alors qu’on a vu en Tunisie puis en Égypte, les gens se révolter contre des gouvernements totalitaires et des contextes où ils se trouvaient maintenus dans une désespérante pauvreté. On a quand même ici – et quoi qu’on en dise – un régime démocratique, où l’on jouit d’une liberté de pensée et de parole enviables. Et on se trouve en plus dans un des rares endroits  épargnés par le marasme économique qui frappe une bonne partie de l’Occident : il faut voir ce qui se passe, pas plus loin qu’aux États-Unis… Et regarder la situation en Europe, à commencer par les taux de chômage effarants, surtout chez les jeunes.

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The Rebell Sell, aussi paru en français sous le titre Révolte consommée: pourquoi le discours sur le changement a-t-il, en fin de compte, si peu évolué ?

Alors, pourquoi entend-on autant parler d’indignation, de révolte, de manifestations, et du fait que tant de gens « en ont assez »? Une bonne partie de la réponse se trouve dans un livre écrit par deux Canadiens, paru en 2005.

Dans The Rebel Sell (traduit, en français, sous le titre de Révolte consommée), et que j’ai pris le temps de relire ces jours-ci, Joseph Heath et Andrew Potter décortiquent  « le mythe de la contre-culture ». Parmi les points abordés: pourquoi, depuis les années 60, tant ici qu’en France et aux États-Unis, est-on régulièrement possédés par l’idée qu’il faut « renverser le système », et que rien ne fonctionnera en dehors de solutions « radicales »? D’où vient ce fantasme permanent du « grand changement », cette apologie de l’indignation permanente ? Cet article paru à l’époque sur le site français Rien que des mots, résume plutôt bien le propos du livre. Pierre Assouline sur son blogue, La République des livres, en fait aussi une bonne recension, en plus de fournir un bon aperçu de la façon dont le livre avait été reçu à l’époque. Livre qui, d’ailleurs, semble avoir été davantage commenté et critiqué en France qu’au Québec. On retrouve quand même cette entrevue avec les auteurs faite par Steve Proulx dans Voir. Tous ces articles valent la peine d’être lus pour comprendre le propos (sans parler du livre lui-même bien sûr).

Mais en résumé : on se retrouve constamment, depuis les années ’60, devant le discours où il faut à tout prix abattre le système existant et instaurer des changements « radicaux », que ce soit sur le plan politique, économique, ou pour tout ce qui a trait à l’environnement. Dans cette logique d’opposition, tout fonctionnement à l’intérieur des structures en place n’est pas assez bon, pas assez efficace, et surtout pas assez rapide aux yeux des révolutionnaires permanents… Et puis aussi, soyons honnêtes : c‘est aussi beaucoup moins « le fun » que de participer à de joyeux happenings, manifester dans les rues, et, à l’occasion, en découdre avec la police pour aller mériter ses badges de révolutionnaires.

C’était vrai à la glorieuse époque des « hippies », de Abbie Hoffman et de ses « Yippies », de l’ « année de l’amour » au Québec, sans oublier, bien sûr, Mai ’68 en France. Ce l’est tout autant aujourd’hui, avec les manifestations altermondialistes , les mouvements Reclaim the Streets,  et les diverses Fêtes de rues. Sans oublier, bien sûr, depuis l’automne dernier, les mouvements « Occupy / Occupons » et les diverses manifestations «d’indignés ». C’est aussi le ton que semble vouloir prendre cette année, à Montréal en tout cas, la marche annuelle pour le Jour de la Terre le 22 avril, que l’on voit de plus en plus associée à une sorte de révolte globale : contre l’exploration des gaz de schiste, contre le projet du Plan Nord dans son ensemble, contre le gouvernement Harper et tout ce qu’il fait et représente, sans oublier bien sûr pour le gel absolu des frais de scolarité, voire la gratuité au Cégep et à l’université.

Mais bon, l’important, n’est-ce pas, c’est de manifester. Et de s’opposer. Tout cela bien sûr pour ne pas sombrer, selon la formule désormais consacrée ici, dans « le confort et l’indifférence ». Ce redoutable cancer du cerveau, comme chacun sait.

Tout cela ne serait que drôle et distrayant, si les conséquences, à la longue, n’étaient pas aussi néfastes. Car, pendant que l’on fait cela, on déserte les structures où l’on aurait l’occasion de faire avancer les choses. Désormais, pour quiconque veut être vu comme « progressiste », se lancer en politique, par exemple, est de moins en moins une option… Ou, en tout cas, sûrement pas à l’intérieur d’un parti conventionnel (c’est-à-dire, qui a au moins une petite chance d’être au pouvoir, ou d’exercer une opposition significative). Et pour quiconque revendique quoi que ce soit, la seule façon d’interagir avec le gouvernement, c’est en étant opposé et absolutiste, et en rejetant tout en bloc dès qu’on n’obtient pas ce que l’on veut. Plutôt que de vouloir fonctionner avec les structures, et les façons de faire mis en place selon des principes de droits et de démocraties.

Ce genre d’état d’esprit a aussi mené à une romanticisation de la délinquance, et même parfois de la violence. Cela aussi remonte aux années ‘60 : par une sorte de glissement, on en est venus à glorifier indistinctement tous ceux qui pouvaient être étiquetés comme « rebelles ». Dans l’imagerie et la culture populaires,  on en est venus à faire voisiner, de façon pas si lointaine, un leader éclairé comme Martin Luther King (qui prenait la peine d’expliquer pourquoi il défiait la loi, pourquoi il en acceptait pleinement les conséquences, à savoir la prison, et prenait la peine de décourager, expressément, le recours à la violence), et les Hell’s Angels… (Pour les plus jeunes lecteurs de ce billet : oui, les Hell’s Angels étaient plutôt bien vus par certains à l’époque; les Rolling Stones les avaient même engagés, en 1969, pour assurer le service d’ordre lors d’un concert en Californie. Avec des conséquences désastreuses.)

Tout cela, aussi, finit par être extrêmement dommageable à toute revendication légitime: comment, ensuite, distinguer la révolte légitime et éclairée des actions menées par des casseurs ou des profiteurs? Et c’est ainsi qu’on se retrouve avec des leaders étudiants qui sont incapables de même émettre une phrase pour condamner la violence et le vandalisme.

Quand on y pense un peu, on traîne ce genre de discours hérité des années ’60 et ’70 dans à peu près toutes les sphères au Québec. Pour le débat linguistique, par exemple : on en est encore à se sentir automatiquement menacés et opprimés par la présence de l’anglais à Montréal. Alors que, comme plusieurs le soulignent, entre autres Lise Ravary, tout récemment, dans cet excellent billet, la situation est plus complexe que ça. Les choses ont bien évolué, depuis les années ’70, et ’80. Et c’est d’ailleurs le Parti Québécois qui, en prenant le pouvoir et en promulguant la Loi 101, a favorisé ce changement. Bravo. C’était toute une révolution. Mais pourquoi continuer aujourd’hui de réagir comme en 1975, comme si tout cela n’était pas arrivé?

Et ce qui devient drôlement gênant, c’est qu’on a parfois l’impression que ce discours d’opposition à tous crins est devenu le seul acceptable parmi une certaine élite, prédominante dans les médias et, encore plus, chez les artistes. Impression encore plus renforcée, ces temps-ci, par la dynamique qui prévaut sur les médias sociaux, comme je le soulignais récemment sur mon blogue. Ceux qui, au départ, prônent la contestation se sentent libres de s’exprimer, en sachant bien qu’ils vont d’abord se faire applaudir, et surtout pas remettre en question. Ceux qui voudraient émettre des opinions dissidentes y pensent à deux fois, en sachant bien qu’ils ont des chances de faire face à une vague de huées « 2.0 ».

Les baby-boomers se retrouvent un peu enfermés dans leur propre logique, qu’ils n’ont pas pris la peine de questionner, et face à laquelle ils n’ont jamais vraiment pris de recul. Et cette lacune les rattrape maintenant face à leurs propres enfants : oui, c’est bien d’apprendre à revendiquer, et à contester. Oui, un petit stage à l’ « école de la rue », ça ne fait pas de tort, et ce peut être hautement instructif (et en plus d’être « le fun », pourquoi pas?). Mais jusqu’où tout cela doit-il aller? À partir de quand tout cela finit-il par être contre-productif ? Y a-t-il des choses carrément inacceptables, lesquelles, et pourquoi?

Selon certains points de vue que j’ai lus et entendus, les baby-boomers, eux, ont finit par rentrer dans le rang sans être parvenus à changer le monde. Et ils bloqueraient aujourd’hui le chemin aux jeunes qui, eux, espèrent encore y arriver. Cet angle n’est pas le bon, l’analyse est faussée : les boomers sont juste incapables de remettre en question leur ancienne logique révolutionnaire des années ‘60-‘70, à laquelle ils ont fait traverser les années sans l’ajuster. C’est pourquoi, d’ailleurs, on en voit certains manifester leur appui à tout ce qui ressemble à une contestation de l’ordre établi. Et que les autres se retrouvent dépourvus de tout discours articulé pour tenter d’expliquer pourquoi certaines façons de faire deviennent indéfendables.

À l’époque Robert Charlebois, qui faisait pourtant partie de ceux qui personnifiaient la contestation, était au moins capable de distance et d’humour. Allez réécouter Le Révolté, tout en relisant les paroles (écrites par Réjean Ducharme).

Et on s’en reparlera. J’imagine.

  1. C’est peut-être le chant du cygne des baby-boomers…

  2. Ce qui est fascinant dans tout ça, c’est la récupération de la rébellion et du discours anticapitaliste par les marques.

    Un exemple : le magazine Adbusters (la marque phare du mouvement anticapitaliste) a déclenché le mouvement Occupy Wall Street. Fait surprenant : quelques protestataires qui campaient dans le Zuccotti Park à New York ont fait application pour la marque de commerce “Occupy Wall Street”. Y voyant une opportunité d’affaires, le rapper Jay-Z (une marque) a ensuite lancé des T-shirts avec la phrase “Occupy All Streets” sous sa griffe Rocawear (une sous-marque).

  3. C’est un billet que je vais carrément imprimer et mettre dans ma filière « D’articles intemporels ». Vraiment, vous soulignez de façon beaucoup moins décousu ce que j’essaie de pointer depuis quelques semaines. La sagesse et le talent, j’imagine. :P Merci pour ça.

    Pour faire un clin d’œil aux jeunes qui ne veulent plus aller en politique pour changer les choses, j’ai lu un billet de Scott Berkun voilà peut-être un an (désolé de ne pas l’avoir retrouvé) parlant justement de ceux qui veulent changer les choses. Il prend en exemple deux sujets : un homme qui veut s’évader de prison et un contestataire de la même prison.

    Celui qui conteste qui n’a pas à être là. Qui gueule tout le temps, qui est violent ou simplement achalant, qui revendique ses droits à tout vent, est toujours celui qui crée des réactions vivent et qui attire l’attention mais qui ne changent absolument rien à sa situation à moyen ou long terme.

    Et puis il y a celui qui veut s’évader : tranquille, calculateur, gentil et plein d’entregent. Apprécié des gardiens et de l’administration, il finit par avoir accès à de l’info privilégier. On lui donne aussi le droit d’aller dans certaine zone grâce à son bon comportement. Il se trouve des complices, se bâti une belle réputation,etc.

    C’est long… C’est lourd… Mais il finit par tellement faire partie du système et il le comprend tellement bien qu’il peut le briser. Et s’évader.

    Le contestataire, lui, gueule toujours entre quatre murs.

    Je n’ai jamais vraiment cru aux manifestations au Québec (je parle de celles de causes et non pour des cas comme Avéos, par exemple). Contrairement à d’autre pays où un tel acte est une révolution en soi, nous c’est un droit. Le symbole n’a rien à voir avec ces autres pays. Ici, le système est modelable de l’intérieur. Ça prend des gens brillants, patients et honnêtes qui iront jusqu’au bout pour comprendre ce système, s’y intégrer pour finir par le transformer.

    L’UPAC nous montre par contre qu’une partie de ces gens brillants et patients n’ont rien d’honnêtes… En espérant qu’ils n’éteignent pas l’espoir des autres qui eux, pourraient vraiment changer les choses. ;)

  4. Je tombe par hasard, et par bonheur, sur vos articles !
    Moi même baby boomer français et engagé dans les luttes et manifestations des années 60-70, inutile de vous dire que j’ai apprécié cette démarche à sa juste valeur !
    Je ne sais pas ce qu’il en est au Québec, mais pou la France il y a un élément de compréhension important, qui me parait assez souvent passé sous silence, probablement car il met à mal notre vision de nous mêmes, tout en réflexion, équilibre, et volontiers donneurs de leçons…
    Je veux parler de la croyance profondément répandue et intériorisée, de la possibilité de changer radicalement -magiquement- les choses, grâce à l’arrivée de génies extraordinaires (ou leurs avatars qui sont des doctrines extraordinaires…).
    Depuis plus d’un siècle cette croyance est encouragée et souvent institutionnalisée: Jeanne d’Arc, Jaures, Clémenceau, Blum, De Gaulle, et j’ose à peine parler de Mitterand ou Sarkozy au moment de son élection !
    En résumé: tout va mal mais qu’un homme providentiel se présente et tout va changer, tout est possible, la pensée magique est à l’oeuvre !
    Que l’ion soit bien clair, ce que je vise ce n’est pas la qualité de tel ou tel politique, certains ont été effectivement des gens remarquables; mais bien leur quasi divination -souvent même de leur vivant- et une vue centrée sur les individus, voire les people, et non sur les programmes politiques, d’où ils venaient, pourquoi et ce qu’ils sont devenus.
    Non, nous sommes (définitivement ?) prisonniers de la pensée magique et des lendemains qui chantent, ce qui a toujours été commode pour les populistes de tout crin ou les idéologies simplistes et totalitaires.
    Est ce un héritage de notre Révolution ? Une réminiscence du pouvoir de droit divin ? En tout cas c’est notre tournure d’esprit…
    Aussi, tout naturellement, en 68 notre génération s’est elle coulée dans l’idée qu’on pouvait tout changer d’un coup de baguette magique, nous voulions tout et tout de suite, il suffisait de partir en croisade contre les capitalistes et ensuite tout serait réglé !
    J’imagine que nos parents avaient peut être aussi été victimes de ce genre d’illusion, mais le cataclysme de la guerre avait ébranlé certaines certitudes, l’heure était à la reconstruction, et personne ne nous a rien dit… Du reste, eux mêmes ont communié dans la religion du grand homme et du cocorico ! Alors par ailleurs qu’ils ont rejeté un des seuls authentiques grands politiques que nous ayons eu depuis la guerre: Mendes France qui n’a été au pouvoir que sept mois !
    Mais c’est vrai que la promotion d’une morale de rigueur, d’honnêteté, d’effort et de justice est bien moins attrayante que tous les yakafokon !
    Aussi, peu à peu notre génération s’est partagée entre ceux qui de désillusions en désillusions ont fini par rejoindre le troupeau commun et se couler dans le conformisme, et d’autre part dans les irréductibles qui ont trouvé un excellent fond de commerce qu’ils ont usé jusqu’à la trame. Oui ces gens ont bien exploités le mythe de la rébellion porteuse par essence de la vérité et parée par définition de toutes les qualités !
    Et ils règnent encore dans presque tous les domaines, eux et les descendants qu’ils ont formé.
    D’où, en passant, une coupure entre une pseudo intelligentsia, principalement mais pas uniquement, parisienne et une majorité plus ou moins indifférente qui les regarde.
    Seuls ont réchappé ceux qui, par bonheur si l’on peut dire, sont passés par le naufrage personnel des dépressions suite aux chimères déçues; ils sont minoritaires et, vaccinés, ne croient plus en beaucoup de choses…
    C’est dans ce contexte morose que les nouveaux populistes, comme Marine Le Pen ou Jean Luc Mélanchon, ont réussi à cristalliser encore une nouvelle fois les promesses fumeuse et irréalistes portées par des gens providentiels ! Et ceci, on le voit bien, a bien marché, et sera le creuset de toutes les désillusions qu’on prendra pour des trahisons ou des complots, toujours dans la pensée magique.
    C’est aussi pourquoi il y a beaucoup à craindre pour une nouvelle gouvernance plus démocratique et réaliste; elle aura contre elle tous les manipulés et son existence sera probablement courte, ne dépassant pas le mandat de cinq ans. Rien ne sera donc terminé, tout sera remis en cause, et comme d’habitude les français voterons pour un danseur de claquettes…
    Quand je pense qu’on a pu écrire que nous étions le peuple le plus spirituel de la Terre ! Il est vrai que c’était il y a très longtemps…

  5. Marie-Claude Ducas

    Merci de cette excellent commentaire, très étoffé. Et il reflète très bien quelque chose qui se passe ici aussi, à savoir l’attente d’un « Messie » quelconque. Qui ne pourra que finir par décevoir, évidemment.
    Par ailleurs, parmi les aspects dommageables de ce genre de discours « rien n’est bon dans le système actuel », je note aussi tout un discours qui s’installe par rapport au fait de s’abstenir de voter, « pour enregistrer sa protestation ». C’est un discours qui court au Québec parmi une certaine intelligentsia. J’ai vu qu’il semble en être de même en France, si je me fie à cette vidéo qui circule, et sur lequel une connaissance a attiré mon attention: http://www.youtube.com/watch?v=vMeEzBxHLVY&
    En au fait, je diffuse certains de mes billets aussi sur le Huffington Post, et celui-ci est aujourd’hui (20 avril) sur le première page du Huffington Post France: http://quebec.huffingtonpost.ca/marieclaude-ducas/contestations-tudiants-quebec_b_1435373.html?ref=france&ir=France. Je m’apprête à l’instant à aller voir les commentaires générés depuis hier, je ne les ai pas vus. J’ai hâte de voir si d’autres opinions viendront de France. Et je vais me permettre d’y recopier la vôtre.

  6. Marie-Claude Ducas

    Très juste, comme commentaire. Je ne sais pas si vous avez lu le livre dont je parle, mais cet aspect en est justement un point central: à quel point tous ces mouvements finissent toujours par être récupérés (et de plus en plus vite, on dirait.)

  7. Je pense que vous vous trompez en opposant la « politique » et l’action des manifestants ; les deux sont des voies politiques, d’ailleurs théoriquement reconnues (quoiqu’un peu menacées actuellement) dans ce qu’on appelle justement la « démocratie ». Je ne doute pas que les livres que vous lisez contiennent des constats véridiques, et peut-être même quelques analyses intéressantes ; mais lisez plutôt des bouquins de science politique si vous voulez pouvoir parler de politique en connaissance de cause, sans amalgamer la récupération inévitable et triste des mouvements sociaux et leurs rôle indubitablement politique et démocratique. La démocratie n’a jamais été un régime limité aux partis et aux élus, ça se saurait…

    Cela ne fait pas forcément de nous des révolutionnaires, et quand il est question d’en avoir assez, il s’agit bien d’un gouvernement et de certaines orientations politiques très spécifiques ; à ne surtout pas confondre avec une condamnation de la politique (ou pire, de la démocratie) en soi, puisqu’au contraire, cette fameuse « révolte » veut remettre la politique à l’ordre du jour et rappeler ce que la démocratie signifie, dans un régime de plus en plus dépolitisé, inégalitaire et gangréné par l’économisme et la technocratie.

    Le commentaire de brazz est effectivement intéressant, mais va selon moi à l’inverse même de votre pseudo-théorie : si on attend le salut d’un homme providentiel, alors on ne va dans la rue, on vote pour lui simplement. Je crois que les mouvements sociaux qui se réveillent actuellement au Québec sont un signe excellent de vitalité démocratique, justement parce qu’ils se présentent comme le refus d’attendre passivement qu’un leader ou une leadere leur apporte la solution sur un plateau d’argent. Enfin, c’est la population elle-même qui a décidé de prendre les choses en main et de se bouger elle-même ! « Sois le changement que tu veux voir dans le monde. » On commence à comprendre qu’on n’est jamais mieux servi que par soi-même, et qu’aide-toi, le Ciel t’aidera !

    Contrairement à ce qu’affirme un discours relativement répandu, les manifestants ou « protesters » ne se contentent pas de chialer et de dire « non ». Ils disent « oui » aussi, oui à autre chose, oui à des alternatives, qui existent et que nous nous tuons à expliquer et à argumenter. C’est vrai qu’avoir un petit bagage intellectuel aide à saisir l’inanité des positions « politiques » des grands partis actuels et à comprendre un discours contraire, d’où peut-être la réticence des blogueurs et média à faire cet effort. C’est tellement plus facile de répéter simplement ce qu’on est habitué à entendre !

    Vous rappelez à juste titre que nous vivons en démocratie. C’est très important pour moi, qui me reconnais dans la pensée de Claude Lefort, un grand défenseur de la démocratie contre le totalitarisme, particulièrement soviétique et communiste. Mais la démocratie n’est pas une couronne de lauriers, acquise pour toujours et dont le fin mot a été dit. Nous avons cette démocratie parce que nos ancêtres se sont battus pour l’avoir ; et l’histoire continue. Le monde change d’une façon qu’il était impossible pour les premiers démocrates d’imaginer seulement (quoique : relire Tocqueville peut être une bonne idée en ce moment). Le présent nous pose des questions auxquelles nous devons apporter des réponses, et rien ne garantit que les réponses démocratiques vont primer. L’histoire n’est pas écrite, tout peut basculer. Peut-être pas tout de suite, mais ne sommes-nous pas en train de semer aujourd’hui les graines d’un futur désastre ? Pour moi, les bébés gâtés sont justement ces enfants de la démocratie qui refusent d’en prendre aujourd’hui la responsabilité ; qui ne pensent qu’à jouir et à se gargariser de cette démocratie qu’ils ont la chance inouïe de posséder, mais ne songent pas un instant à ce qu’ils sont paradoxalement en train de la miner, de la menacer, de la compromettre (en laissant les autres décider et faire à leur place, en laissant les inégalités se creuser, la précarité se généraliser, etc.).

    Pas de rapport entre le printemps arabe et ce qui se passe actuellement au Québec ? Ah, ça, vous ne croyiez quand même pas que nos « démocraties » n’étaient pour rien dans les gouvernements totalitaires de certains autres pays ? Être démocrate, ce n’est pas seulement regarder son statut de privilégié dans le miroir ; c’est aussi revendiquer la fin de ces coins sombres et malodorants de nos propres régimes qui soutiennent et nourrissent le totalitarisme à l’étranger.

    Quant à votre petite phrase sur la « violence et le vandalisme », voilà qui me donne envie de vomir. Que savez-vous sur le sujet ? Vous ne faites que répéter l’habile manipulation langagière des dominants. C’est d’autant plus problématique, que c’est contradictoire avec votre insistance sur le côté soi-disant « fun » de notre action : je me suis fait gazer, poivrer et pousser par un bouclier anti-émeute (plus gros hématome de ma vie), et croyez-moi, ce n’était pas particulièrement « fun ». http://voir.ca/marc-andre-cyr/2012/04/19/de-la-violence/
    http://praxeology.net/VC-DA.htm
    http://www.youtube.com/watch?v=RIe3D0ACFHA

    Je veux rester polie et constructive, mais il y a effectivement des choses, même dites innocemment, qui sonnent comme des insultes. Pourquoi la souffrance des autres est-elle si difficile à accepter ? Et dites-moi, puisque vous semblez avoir des opinions sur beaucoup de sujets, pourquoi dans nos splendides démocraties, y a-t-il tant de dépressifs, de bipolaires, de suicides, de cancers, etc. ? On leur refile des médicaments (ou de belles funérailles ?), c’est plus facile que de se poser des questions sur notre société… Quant à la pauvreté, si vous ne l’avez jamais connue, je vous envie. Mais n’allez pas présumer que c’est le cas de tous les Québécois-e-s. L’oppression, la violence et le désespoir existent encore, même dans notre monde « développé ». Si nous avions vraiment conscience de notre chance, nous n’y serions pas indifférent-e-s ; nous considèrerions au contraire que nous n’avons plus d’excuse pour les permettre à si grande échelle. Encore une fois : être démocrate, ce n’est pas se tapoter l’épaule entre nous en échangeant des regards satisfaits. C’est regarder au-delà de notre petite élite et voir que nos privilèges ne sont pas sans coût et sans sacrifice pour les autres.

    Je vous apprends enfin, puisque vous semblez l’ignorer, qu’il y a beaucoup de monde, y compris de jeunes, qui sont membres (voire élus, j’en connais) de partis politiques dans ce mouvement de contestation. Mais votre naïveté quant au fonctionnement d’un parti me pousse à vous en parler un peu. Une structure par laquelle on aurait l’occasion de faire changer les choses ? Je ne crois pas que vous comprenez. Ces structures sont, justement, des structures : vous entrez dans le moule, ou vous en sortez. Il n’y a pas de place dans les partis pour les petits nouveaux qui voudraient changer les choses de l’intérieur, ne serait-ce qu’y faire entrer un peu de démocratie. Je ne dis pas que tout est perdu, encore moins que les lignes des partis n’évoluent pas avec le temps, mais quand même, réfléchissez une seconde : dans un parti, encore plus que dans un pays, il s’agit de se mettre le maximum de gens de son côté, et surtout les dirigeants, ceux qui ont déjà le pouvoir. C’est ainsi qu’on gravit les échelons, qu’on se fait élire à des postes. Et puisque tout le monde est dans la game (contrairement aux électeurs-citoyens), l’intelligence n’est pas dans les idées politiques, mais dans la façon de naviguer au sein d’autres ambitieux : si tu m’aides, je t’aide. Je ne parle pas de la base militante, mais des personnalités qui émergent.

    Quant à fonder son propre parti politique, j’aimerais bien, mais là aussi, vous sous-estimer la difficulté que ça représente. Pour qu’un parti ait la moindre influence, il lui faut des milliers, plutôt des dizaines de milliers de militants. Faites-le vous-même avant de cracher sur celles et ceux qui sont trop occupé-e-s à avoir du « fun » pour le faire… On est plein « yakafokon », comme dirait brazz. « La critique est aisée, l’art est difficile. »

  8. Marie-Claude Ducas

    @Asia M Merci. Vous soulevez là plusieurs questions intéressantes, à commencer par le réel problème de la détresse psychologique et émotionnelle dans nos sociétés (sans parler des multiples problèmes de santé qui en découlent). Mais je continue de penser qu’on se trompe de cible, et d’angle d’attaque, si on veut vraiment améliorer les choses en 2012. En tout cas sous nos latitudes…

  9. J’ai entendu le communiqué de la « ministresse » de l’éducation il y a 2 jours( en fait il serait plus juste de parler de l’instruction publique). Le moins que l’on peut dire est que la réthorique n’est pas son fort. Etre incapable de prononcer un discours sans lire son texte, bafouiller et utiliser des expressions aussi peu françaises que  » nous sommes en mode discussions ou en mode élaboration » enfin quelque chose du genre; sans parler des répétitions, des approximations etc.Bref un discours trop long, mal tourné, ennuyeux alors qu’il aurait suffit du trois ou quatre phrases claires et percutantes. A mon sens pour être ministre de l’éducation, il faut avoir d’autres qualités que celles qui vous permettent de siéger dans les conseils d’administration et de fréquenter les cocktails; je veux dire un solide bagage académique ( un simple bac en psychologie me semble très mince et si encore ses actes dénotaient ses compétences dans cette discipline), une vaste culture générale, une connaissance approfondie du système universitaire avec un retour historique sur son évolution depuis les années ’60, une appréhension du monde étudiant dans sa globalité, la capacité de comprendre et de dialoguer etc . D’après son curriculum, on se rend compte que madame Beauchamp a si peu fréquenté l’université, qu’elle ignore le poids énorme que les frais de scolarité représentent pour un étudiant normal, qui travaille et s’assume complètement ou même partiellement.

    Bref madame Beauchamp aurait intérêt à retourner à l’université d’abord pour compléter son instruction – qui sait, arriver à décrocher un doctorat si toutefois ses capacités intellectuelles le lui permettent, c’est un minimim pour un ministre de l’éducation, même dans les pays d’Afrique les ministres de l’éducation ont un curriculum académique avec un doctorat à la clé reçu en France ou en Angleterre- puis pour être confrontée à la réalité, comprendre les mécanismes qui engendrent cette colère estudiantine qu’elle tente d’écraser par la violence démontrant par là que ses études de psychologie ne lui ont pas servi.
    Sa démission serait peut-être la preuve qu’elle est moins dépourvue d’intelligence et de psychologie qu’elle le laisse paraître!

  10. Marie-Claude Ducas

    @Monique Le Bel: j’ai publié votre commentaire, même si je ne vois pas trop ce qu’il a à voir avec la teneur de mon billet. Merci tout de même.

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