Controverse Guillaume Wagner / Marie-Élaine Thibert : Yvon Deschamps aurait-il une chance à l’ère des médias sociaux ?

D’après ce que j’en comprends, le contexte de la fameuse« joke » de Guillaume Wagner à l’endroit de Marie-Élaine Thibert, c’était au départ une sorte de mise en garde contre le fait que les « matantes » n’apprécieraient pas son genre d’humour.  Et donc, en guise de démonstration, il en a poussé une ou deux à l’endroit de Marie-Élaine Thibert. Pour bien montrer que Marie-Élaine Thibert est le genre de personne auxquelles les « matantes » ne veulent pas qu’on touche, même pour rire.

Le légendaire Yvon Deschamps: qu’est-ce qui serait arrivé si on avait publié, hors-contexte, des extraits de ses monologues sur Facebook ou Twitter?

Est-ce que c’était vraiment drôle, et réussi ? Est-ce que Guillaume Wagner est drôle ? Je n’en sais rien. Je n’ai pas vu son spectacle, et jusqu’à présent, je ne l’ai pas « fréquenté » Guillaume Wagner comme humoriste, que ce soit à la télé, à la radio, ou autrement. Mais en entendant, notamment lors de la chronique de Dominic Arpin ce matin, toute l’ampleur que prend cette histoire, la première chose à laquelle j’ai pensé, c’est : mais quel sort réserverait-on à Yvon Deschamps s’il se lançait aujourd’hui ?

Ceux et celles d’entre vous qui  connaissez  son œuvre, remémorez-vous certains de ses grands classiques. Moi, j’ai tout de suite pensé à « L’intolérance », ce monologue où son personnage commence à nous faire la leçon sur les méfaits de l’intolérance… et où on se rend compte en cours de route que c’est lui, le personnage en question, qui est le plus intolérant:

« Oh oui, l’intolérance, ça a même fait mourir des presque Blancs. Des gris pâles. Six millions de Juifs, que sont morts parce que Hitler, y faisait de l’intolérance. Y’était malade dans tête, un maudit maniaque de fou, la, tsé la ? Ah oui, lui, lui Hitler y disait que les Juifs sontaient pas du monde comme les autres, pis y s’habillaient mal,  pis y’avaient des couettes pis y puaient pis y s’lavaient pas pis y’achetaient toutte… (…) Je l’sais ben que c’est vrai. Mais on tue pas le monde pour ça ! Des Juifs, tu t’arranges pour pas en avoir dans ton boutte, c’est toutte. »

C’est sûrement l’exercice de style le plus périlleux auquel se soit livré Yvon Deschamps. (Il aurait avoué plus tard qu’il « avait peur » à chacune des représentations.).  Mais il avait déjà développé cette technique où, pour faire réagir, il se glissait dans la peau de ce personnage qu’il avait étoffé au cours des années : souvent naïf, parfois obtus, et même… intolérant. Repensons aussi à ce monologue sur la violence conjugale, où il incarne le gars « qui ne comprend pas » pourquoi une femme fait tant d’histoire avec quelques claques de temps en temps.

On le sait tous : Yvon Deschamps n’est ni raciste, ni sexiste. Il se consacre à diverse œuvres, à commencer par Le Chaînon, qui aide les femmes victimes de violence. Mais que serait-il arrivé, à l’époque, dans le paysage médiatique actuel ?  Si quelqu’un avait mis, sans trop de contexte, des extraits de ses monologues sur Twitter et Facebook. Pour qu’ensuite divers chroniqueurs montent ça en épingle, en moussant leur point de vue ? Et que tout ça continue de s’enfler, au fur et à mesure que tout un chacun ajoute son grain de sel sur Twitter ou Facebook ?

Déjà à l’époque, avec « L’intolérance », il y avait eu du monde pour le qualifier de raciste et d’antisémite. Aujourd’hui, il ne pourrait même pas finir la semaine.

Sur sa page Facebook , Guillaume Wagner écrit : « Les cyniques, RBO, les bleu poudre, comptez-vous chanceux de ne pas avoir eu twitter et facebook ;) ». Difficile de ne pas lui donner raison.

Et voilà un des nombreux paradoxes sur lesquel on aura plaisir à se pencher, dans les années à venir : bien des apôtres des médias sociaux se sont plu à idéaliser le phénomène, qui permettrait enfin de pouvoir communiquer « plus librement », de s’affranchir de la « censure » trop souvent imposée par les grands médias, les règlements, les pouvoirs en place.. Or, on s’aperçois pour l’instant que cette « liberté d’expression », et l’enflure qui en résulte parfois, peut mener à encore plus de censure.

MAJ 

Des commentaires reçus par l’entremise de Facebook me portent à ajouter ici un éclaircissement: je ne compare PAS Guillaume Wagner avec Yvon Deschamps. Encore une fois, je ne le connais pas, je n’ai même pas entendu d’extrait de monologue (hormis le mini-clip qui joue depuis ce matin.). Je dis seulement que, à la lueur de ce qui se passe dans le paysage médiatique aujourd’hui, j’ai l’impression que même un second Yvon Deschamps aurait des chances de « passer dans le tordeur ». Et ceci dit, c’est vrai que, à l’époque de Deschamps, on n’allait pas tout personnaliser: lui ne visait personne, nommément, dans ses gags, pour commencer.

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