Panel à la FPJQ: les réseaux sociaux sont-ils des outils de propagande?

Je serai au Congrès de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ) ce samedi (26 novembre), pour prendre part à un atelier intitulé « Les réseaux sociaux : outils de propagande aussi », et dont le thème est présenté ainsi sur le programme du congrès  :

« Il n’y a pas que les journalistes qui découvrent peu à peu l’outil de communication que sont les réseaux sociaux. Les groupes d’intérêts, les partis, les entreprises investissent également les lieux. Ils cherchent à créer une opinion publique virtuelle qui leur soit favorable et à y faire leur spin. Comment ne pas devenir la prochaine victime de cette guerre d’influence? »

Ma première réflexion, quand j’ai vu ce titre et cette entrée en matière, a été de me dire que tout cela dégageait un parfum qui fleurait bon la fin des années 50 / début des années 60… Mais passons. L’atelier sera animé par Frédéric Perron, journaliste et responsable de la section technologie, Protégez-Vous . et mon co-paneliste est Michel Dumais, directeur de l’information du journal Le Trait d’Union, et observateur bien connu des nouvelles technologies.

Voici, en gros, les aspects que j’ai l’intention de mettre de l’avant.

Mirador - série télévisée

La série télévisée "Mirador", qui se déroulait en coulisses d'une firme de relations publiques née avant l'ère des médias sociaux. À quoi ressembleront les RP de l'avenir?

Première chose : plutôt que « réseaux sociaux », on parle de plus en plus de « médias sociaux ». Parce que, justement, après avoir émergé comme des réseaux, utilisés par les gens à titre personnel, les Facebook, Twitter, ou Linkedin de ce monde s’avèrent de plus en plus être des médias. Avec lesquels il se passe la même chose qu’avec les autres médias qui ont émergé par le passé. Que ce soit avec les journaux, les magazines, la télé et la radio, les entreprises se sont avisées qu’il s’agissait de bons véhicules pour rejoindre un public. Et elles se sont montrées prêtes à payer pour cela. C’est ce que l’on appelle la publicité. Et les médias y ont trouvé leur compte : c’était une façon de financer leur contenu; et de faire des profits. Voilà, résumé très grossièrement, l’historique et la mécanique des médias et de la publicité.

Dans n’importe quel média, la publicité n’est pas forcément toujours bien reçue, ou bien perçue. Cela dépend de bien des choses : du contexte, de la quantité de publicités, et, bien souvent de la qualité de la publicité, et de sa pertinence, étant donné entre autres le contexte, justement. Mais en général, il s’est installé une acceptation, basée sur une sorte d’entente tacite : la publicité est la condition pour recevoir du contenu gratuitement… ou en tout cas vraiment pas très cher (on s’entend que, même si on paie pour les journaux, c’est depuis longtemps un coût minime; et que la majorité des revenus vient de la publicité.)

Parallèlement à cela, il s’est aussi développé un secteur d’activité que l’on appelle les relations publiques (les Mirador de ce monde…). Où l’on travaille, là aussi, sur l’image des entreprises et des organisations; mais en s’adressant au public, ou à des influenceurs tels des journalistes, pour communiquer un message, des données, des faits, etc., au nom de l’entreprise.

Arrivons maintenant en 2011 (bientôt 2012), et à l’ère des médias sociaux. Les médias sociaux sont quand même très différents des autres médias qui les ont précédés. En fait, il y a des différences dans toute la dynamique média, dans tous ses aspects, et qui est en train de transformer la notion même de médias, et d’éditeur, le travail, le rôle et la place des journalistes; y compris notre façon dont nous sommes considérés, et même, éventuellement, rémunérés… C’est un autre sujet; pour l’instant, continuons de nous concentrer sur les communications des entreprises. Mais ce sont des aspects qui sont quand même interreliés.

Facebook-Perte d'emploi

Comment perdre son emploi sur Facebook: un exemple britannique devenu un classique.

La première particularité des médias sociaux, c’est qu’ils ont été créés au départ par, et pour des individus. Et, c’est vrai, on parlait au début uniquement de « réseaux ». Prenons les plus connus et les plus utilisés : Facebook et Twitter. Au départ, on avait des individus, qui communiquaient avec d’autres individus. Mais tout cela, à plus grande échelle que jamais. N’importe quel individu s’est retrouvé tout à coup avec le potentiel de rejoindre des milliers, des dizaines de milliers… et jusqu’à des millions de personnes. Ce qui se passe, dans les faits, c’est que n’importe qui a la possibilité de devenir un média. De devenir ce qu’on appelle un « curateur de contenu », pour employer un terme à la monde…Ou, on pourrait dire  tout bonnement, un éditeur. Il y a donc un changement fondamental dans la dynamique.

Mais c’est une dynamique dont les entreprises, assez rapidement, se sont mises à faire partie. Rien d’étonnant, quand on y pense : il y a là de supers auditoires. Et il y a donc, encore et toujours, des entreprises intéressées à les rejoindre. C’est sûr que des entreprises allaient  commencer à se demander : « comment on utilise Facebook, comment on utilise Twitter, ou Foursquare, ou même Linkedin, pour toucher notre public? »…

Mais, à cause de la nature même des médias sociaux, là aussi, il y a une dynamique différente, et plus complexe, par rapport aux médias d’ « avant ». Pour commencer, au départ, il ne s’agit plus d’acheter de la diffusion, comme on achète des pages de pub ou du temps d’antenne. On communique sur le même fil de presse, le même réseau, que tout le monde. À cet égard, c’est un peu comme envoyer ses communiqués par courriel. Par la suite, il s’est développé des formules publicitaires, sur des canaux comme Facebook, YouTube… Mais ce n’est pas l’essentiel de ce qui est utilisé au départ, et de ce qui nous préoccupe ici. Et ceci dit, il y a quand même des façons de faire propres aux entreprises qui se sont développées, et qui sont encadrées comme telles : des concours; des façons de relayer des blogues d’entreprises; des façons d’impliquer sa clientèle, de solliciter ses suggestions de répondre à ses commentaires …

Et c’est vrai que, au départ, il y a eu quelque chose de déconcertant à voir débarquer les entreprises dans des endroits qu’on voyait d’abord comme une espèce de salon où l’on conversait avec non amis… Impression très trompeuse d’ailleurs. Il y a plusieurs personnes, un peu partout dans le monde, qui l’ont appris à leurs dépends : des réseaux comme Twitter ou Facebook sont des espaces très, très publics… Je citerai seulement ici, pour ceux qui ne le connaîtraient pas, cet exemple britannique, qui concerne un milieu de travail, et qui est devenu un classique. Une jeune fille, encore en probation, a écrit sur sa page Facebook un commentaire incendiaire à propos de son patron… dont elle avait oublié qu’il faisait partie de ses contacts. Mauvaise idée… Allez lire la conversation sur Facebook entre elle et son patron : c’est très drôle. Enfin, pour tout le monde, sauf elle.

Voyons maintenant une autre particularité des médias sociaux qui, elle, concerne les entreprises : elles n’ont pratiquement pas le choix, d’y être, sur les médias sociaux. Parce qu’elles sont susceptibles de s’y retrouver de toute façon : dès que quelqu’un émet un commentaire, ou une plainte, elles peuvent avoir une « exposure » devant des milliers de personnes. Et parfois le genre d’exposure qu’elles n’auraient pas forcément choisie. De plus en plus, elles se rendent compte qu’elles doivent être « équipées » pour surveiller ce qui se dit, savoir quoi répondre, quand et comment…

Et nous de notre côté, en tant que public, on choisit quand même les entreprises dont on veut entendre parler. Sur Facebook, on va voir, au départ, dans notre fil, les entreprises que l’on a choisi de « liker »; et sur Twitter, celles que l’on a choisi de suivre. Sauf quelques exceptions : si nos « amis » partagent du contenu à leur sujet; et, sur Twitter, en utilisant les fameux « hashtag » (signe de #), qui permettent d’identifier et de suivre ce qui se dit sur certains sujets, que ce soit la révolution égyptienne, ou un émission de télé comme Tout le monde en parle. On a vu des organisations tenter de s’ « inviter » dans des conversations, mais c’est à faire avec beaucoup de circonspection. Il n’y a pas si longtemps, la Fédération des associations étudiantes du campus de l’UdeM (FAECUM) a envahi le hasthag #tlmep pour s’invier sur Twitter pendant l’émission Tout le monde en parle, à Radio-Canada et transmettre un message de protestation contre les frais de scolarité. Une initiative qui est loin d’avoir fait l’unanimité… Et lors du printemps égyptien, le designer Kenneth Cole, en s’avisant qu’il se déroulait pas mal d’activité autour du hashtag #cairo, y a vu un canal pour annoncer sa nouvelle collection… Mauvaise idée, encore une fois. Inutile d’expliquer à quel point c’est apparu déplacé et abusif. Rendu là, on peut pratiquement parler de « spam ». On le reconnaît fort bien comme tel quand on en voit.

Et donc on y arrive enfin, à cette fameuse crainte de la « propagande ». Et au sujet de départ; qui est, s’il faut le résumer un peu crûment : est-ce que les entreprises se servent des médias sociaux pour « fourrer » le public et, pour commencer, les journalistes? La réponse courte que je donnerais, au meilleur de ma connaissance, c’est : ni plus ni  moins qu’ailleurs. Il y a toujours eu, et il y aura toujours des entreprises – sans parler d’organisations diverses, et de politiciens – pour essayer de « passer des sapins » au monde. Cela n’a pas débuté avec les médias sociaux. Et cela ne s’arrêtera sûrement pas avec eux. Et oui, il peut toujours y avoir du monde qui vont essayer de faire croire qu’il « twittent » ou  « facebookent » en leur nom propre, alors qu’ils le font pour le compte d’une entreprise ou d’une organisation. Il y a eu des exemples notoires, en ce qui concerne des blogues. Aux États-Unis, ces gens qui parcouraient le pays en véhicules récréatifs, en campant dans les parkings de Walmart, et en disant du bien sur Walmart… Dont on a appris qu’ils étaient commandités par Walmart. (Alors que cela aurait pu être aussi efficace, et sympathique, s’ils avaient lancé une telle initiative, mais en s’y associant au départ.) Et plus près de nous, à Montréal, on a eu la cas des faux blogueurs soi-disant passionnés du Bixi… Mais justement, cela s’est su. Les entreprises peuvent toujours essayer des stratagèmes semblables. Mais, quand elles sont démasquées, elles peuvent y perdre énormément.

Car c’est l’autre aspect des médias sociaux : la transparence à tous crins. Les membres du public disposent maintenant d’outils de communications aussi puissants que les entreprises. Elles peuvent les contester, les dévoiler, les exposer… Et ceci dit, n’importe qui dans le public peut aussi faire circuler de fausses informations, et lancer des canulars, qui voyagent parfois très loin. Mais tout le monde est à armes égales. Et pour en revenir aux journalistes, la première chose à faire, c’est de s’assurer de bien comprendre cette dynamique, et d’en faire partie. D’ailleurs, les entreprises de médias le font déjà. Et bien des journalistes aussi, à titre individuel.

Je termine en rappelant que Nathalie Collard, chroniqueure médias à La Presse, avait, dans le cadre de sa chronique à Infopresse, soulevé la question de l’éthique dans les médias sociaux. À savoir : que devraient faire les blogueurs qui écrivent au sujet d’un événement auquel ils ont été gracieusement invités? Je vais tâcher d’échanger des idées avec Nathalie d’ici l’atelier de samedi. Et je reviendrai sûrement sur le sujet.

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