Retour sur Cannes: egos et trips créatifs… 2.0

Fin juin, et après quelques jours passés aux Lions de Cannes, j’avais, dans un premier billet, annonçé la mort, – déjà effective, sinon très prochaine – de la réalité décrite par l’écrivain et ex-publicitaire Frédéric Beigbeder dans son roman 99F, porté depuis à l’écran par le réalisateur Jan Kounen. Vous savez, cet univers où les prima-donna de la création publicitaires, aussi géniaux que névrosés (et, souvent, adeptes de diverses substances licites et illicites) vivent dans leur bulle créative, disent tout le mal qu’ils peuvent de leurs clients  trop frileux et bornés, en se fichant au passage du bas peuple qui ne comprend pas leurs « flashes » géniaux.

Je le sais, vous allez me dire que les publicitaires n’ont jamais VRAIMENT été comme ça. En tout cas, pas ici,  bien sûr. Tout le monde travaille main dans la main, dans le plus grand respect, c’est bien connu. Mais bon, c’est quand même cela l’image et le mythe. Un mythe qui d’ailleurs, n’est quand même pas né complètement pour rien. Mais passons.

Sortie de la clotûre des Lions 2010, sur les marches du Palais des Festivals de Cannes: un univers encore plus hermétique à l'ère du 2.0 ?

J’anticipais donc, de toute façon, la mort de cet univers, face à la montée des réseaux sociaux, qui semblent de plus en plus faire de la participation des consommateurs et des citoyens un passage obligé dans les stratégies… Lors de l’édition 2010 des Lions, il n’était question que de cela dans les séminaires. Et les campagnes gagnantes, peu importe dans quelle catégorie, avaient presque toutes une importante  composante interactive et virale. Or donc, me disais-je en substances, les créatifs sont mieux de se préparer:  le règne de l’ego-trip et de la bulle créative achève…  

Mais deux prises de conscience m’ont portée à tempérer ce discours. La première est survenue à Cannes, après quelques soirées: alors que nous étions attablées au très célèbre bar du Martinez, mon collègue Arnaud Granata me faisais remarquer à quel point l’uniforme du créatif branché – un certain type de vêtements sombres, souvent accompagnés de grosses lunettes – demeure. Et surtout comment il transcende les frontières. 

L’autre prise de conscience s’est produite au retour de Cannes, lors d’un souper entre amis, où il était justement question de tendances et de Lions. « Tous ces trucs de pubs virales, ça ne marche quand même pas vraiment », m’a dit l’un d’eux.  Lequel, je me dépêche de le dire, est, comme vous et moi, quelqu’un d’instruit, ouvert, cospomolite, informé et à l’affût de tout ce qui se passe. Mais il ne travaille pas en publicité, ni en web. Je me suis évertuée tant bien que mal à lui expliquer les beautés et les subtilités des diverses initiatives virales, qui poussent ici et ailleurs; en soulignant que cela n’avait rien à voir avec certaines iniatives de « faux » bouche à oreille que l’on a parfois vues, et qui étaient en fait de la publicité déguisée…

Et par la suite, j’ai eu une soudaine illumination. Un an plus tôt, dans la foulée des Lions de Cannes justement, j’avais parlé, dans un billet, du coup de gueule de Jeff Goodby, co-président et directeur de la création de l’agence Goodby, Silverstein & Partners, de San Francisco. Celui-ci, dans un billet intitulé ‘We Are Becoming Irrelevant Award-Chasers’, fustigeait la propension des publicitaires à s’auto-congratuler dans leur bulle, et à décerner des prix à des concepts qui les font « tripper », plutôt qu’à ceux qui trouvent une vraie résonnance auprès du grand public. Et il suggérait de faire le « test du chauffeur de taxi » (« the cab test« ): votre taxi a-t-il seulement entendu parler des concepts qui font vibrer la communauté créative ?  Je me rendais soudain compte que même les concepts-vedettes de l’ère virale semblaient bien partis, eux, pour échouer mon « test du patio ». Imaginez un peu avec les taxis…

D’ailleurs, à la réflexion, je me rends compte que bien des initiatives marketing, certaines pourtant fort célébrées, liées au web et aux réseaux sociaux, ont au départ, même pour moi, un côté obscur.  Il y a tellement de développements, et tout va tellement vite…  Le langage et les concepts liés au marketing 2.0 sont complexes, fragmentés, avec un attrait limité à un happy-few…  Combien sont susceptibles d’avoir rejoint, touché, fait réagir votre chauffeur de taxi ? Ou même votre voisin, votre belle-soeur, vos collègues ? Et je pose donc la question: l’univers de la pub virale et 2.0 n’est-il pas à risque de s’enfermer lui aussi dans une bulle, de devenir même plus hermétique et déconnecté ?   

Je sais bien que l’on parle, au départ, de réalités et d’objectifs très différents de l’époque où seule la publicité de masse existait.  Et d’ailleurs, je ne sais si mes collègues vont trouver que,  alors que l’on vient juste de lancer les prix Boomerang. c’est un tellement bon timing pour soulever ce genre de débat… Mais il me semble quand même que c’est une question avec laquelle, tôt ou tard,  ceux qui travaillent dans le domaine auront à se coletailler. D’autant plus que, on le sait, Chris Anderson, dans Wired, vient d’annoncer la mort du web. De cela, d’ailleurs, je voudrai sans doute vous reparler de façon éclairée, dès que  j’aurai lu l’article.

  1. Zut! Je m’attendais à une conclusion! A part ça, rien de nouveau. On se pose des questions sur les awards – qu’elle soient cannoises ou finlandaises – depuis toujours. On peut se poser des questions sur le Web 2.0, d’ailleurs je le conseille vivement, mais on ne fera plus marche arrière.

  2. L’une des questions importantes, c’est de se demander si on essaie de faire du mass média avec les réseaux sociaux. Concrètement, qui je vise: A- l’ensemble des immigrants première génération qui parlent français, de façon beaucoup plus pointue, B- ceux qui conduisent un taxi à Montréal.

    Mon « A- » est le champ de bataille de la pub classique, alors que mon « B- » est celui des réseaux sociaux.

    Mais pour qu’une initiative de réseaux sociaux traverse tout le bruit ambiant et atteigne de façon virale non seulement le feed facebook des chauffeurs de taxi, mais aussi celui de monsieur ou madame tout le monde, disons que ça prend soit beaucoup de talent, soit beaucoup de budget, le deuxième ne compensant pas vraiment pour le déficit du premier.

    Et la seule objection acceptable à « Tous ces trucs de pubs virales, ça ne marche quand même pas vraiment », c’est de parler du ROI moyen de ses clients (et non de LA campagne créée à l’autre bout du continent qui a réussi à émerger du brouhaha ambiant).

  3. Je suis enfin à jour sur la série Mad Men et j’attends avec impatience les prochains épisodes de la saison 4. Il suffit de voir le comportement de Don Draper (le créatif et personnage central)pour comprendre la génétique du créatif. Arrosé d’alcool et de nicotine, les créatifs ont évolué depuis, mais le principe est resté le même : They know better…we don’t know!

    J’ai dédié un chapitre complet dans mon livre : Le nouveau « P » du marketing : la Présence. La culture du marketing insipide et nombriliste.

    Je dois dire que le Web 2.0 a juste apporté une fenêtre de plus pour les prix dans les concours, comme celui de l’APCM ou les Boomrang. Qui connaît les campagnes qui gagnent des prix? Qui plus est, les candidatures sont encore limitées par une petite poignée d’agences qui dominent ce marché.

    L’objectif de la pub n’est-il pas d’augmenter les résultats de vente? Je veux bien que les « Coq » dans la basse-cours s’égosillent à faire connaître leur succès… s’ils en sont des vrais et qu’ils peuvent en réclamer l’entière paternité… ou maternité!

    Le but des concours n’est-il pas de réconforter les clients actuels ou potentiels sur les capacités créatives de leur fournisseur de succès? Il suffit que les concours mesurent les succès… les vrais!

    Bravo pour ce questionnement pertinent!

  4. Mais pourquoi alors les clients paient pour nos délires ?

  5. Jean-Christophe Bilodeau

    Petit vox-pop maison fait pas les gars de Brise-Glace qui conforte bien le questionnement soulevé dans votre billet!

    http://brise-glace.com/2010/07/15/voxpop-et-web-2-0/comment-page-1/#comment-554

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