Notre rien, c'est peut-être le début de quelque chose: retour sur les propos de Denys Arcand

Denys Arcand: son principe de "tendre un miroir" semble fonctionner mieux que jamais. (Photo: CBC)

Voilà quelques jours que je me promets de trouver du temps pour revenir sur les propos tenus par le cinéaste Denys Arcand, interviewé par Stéphan Bureau  lors de son émisson Contact, à Télé-Québec. Le temps, je ne l’ai toujours pas. Mais je vais au moins amorcer les réflexions que cette entrevue m’a inspirées, quitte à y revenir. Ce qui vous permettra d’ailleurs, peut-être de les enrichir d’ici la prochaine fois. D’autant plus que j’y vois des recoupements avec d’autres propos, tenus ceux-là par Gilbert Rozon, fondateur de Juste pour Rire, lors d’ une entrevue diffusée peu après, à l’émission Les Francs-Tireurs. Et l’entrevue en question est encore accessible en ligne, mais jusqu’à demain (mercredi 21 avril) seulement. Alors les intéressés pourront déjà aller y jeter un coup d’oeil. (C’est à Télé-Québec aussi; je ne le fais pas exprès. Je me dis souvent que, étant donné mes habitudes d’écoute, mais surtout celles de mes garçons, un PPM installé chez nous ferait monter d’un coup sec la part de marché de T-Q).

Donc, j’ai pris soin d’écouter l’entrevue de Denys Arcand, après que Patrick Lagacé en ait parlé dans sa chronique de La Presse de même que sur son blogue. J’ai souvent dit à qui voulait bien l’entendre à quel point j’admirais et j’appréciais Denys Arcand, et peut-être autant comme interviewé que comme cinéaste. Je me délecte à chaque fois de sa lucidité impitoyable, heureusement toujours tempérée par le détachement et l’humour dont il fait toujours preuve. Cela n’a pas fait défaut cette fois-là non plus.

Gilbert Rozon: pour en finir avec la bataille des Plaines d'Abraham

Mais, surtout, j’ai noté un étonnant décalage entre ce qui m’a frappée lors de cette entrevue, et ce qui avait frappé Patrick Lagacé. Ce dernier, dans une chronique intitulée « Y a rien, dans nos vies« , s’attardait à cette citation du cinéaste: 

« Ce qu’il faut, c’est faire des films qui soient exactement comme nous, comme notre vie. Qu’est-ce qu’on connaît nous, les Québécois, c’est quoi l’essentiel de notre vie? L’essentiel de notre vie, c’est qu’y a pas de drame, y a pas de grand drame sanglant, y a pas de révolution. Y a rien, dans nos vies. Tout ce qu’il y a, c’est: « J’ai trompé ma femme, hier, j’espère qu’elle ne le découvrira pas. » Des choses de cet ordre-là, de l’intime. »

Patrick Lagacé y fait un lien avec le vide ambiant qu’il voit ici, notre « absence de projet collectif », et confie qu’il « aurait parfois envie d’être Polonais. » Moi, c’est drôle, j’ai été encore plus frappée par ce qu’a dit Arcand tout de suite après. Je n’ai pas le DVD (et je n’écoutais pas cela un stylo à la main), alors je ne peux pas vous donner le verbatim;  mais voici en résumé: Arcand soulignait que, après la sortie du Déclin de l’empire américain,  une universitaire de Rio de Janeiro l’avait abordé en lui demandant: « Comment avez-vous fait pour connaître et raconter aussi parfaitement ma vie ? ». Il poursuit, dans cette idée des oeuvres basées sur l »’intime »,  en invoquant comme parallèle une oeuvre comme Scènes de la vie conjugale, de Bergman.

Une des premières choses qui m’est venue à l’esprit, c’est que Arcand réussit , en entrevue, la même chose qu’avec ses films: livrer un regard très personnel, dans lequel chacun voit quelque chose de différent. Il a employé, à quelques reprises déjà, l’expression « tendre un miroir à la vie » pour décrire ce qu’il fait. Il montre  la réalité, tout bonnement… Et soulève ainsi les passions à gauche et à droite, souvent pour des raisons très différentes, qui finissent par lui échapper complètement.

Et donc, voici pour ma part, où ses propos m’ont emmenée. Ne sommes-nous pas en train, me disais-je de justement apprendre à tirer parti d’un formidable don à parler de choses intimes, d’une façon que tout le monde pourra trouver universelle ? (Ce qui, à bien y penser, est souvent reconnu comme étant le propre des grandes oeuvres.) Et puis surtout, ne pourrions-nous pas sortir de ce discours éculé qui consiste à s’ennuyer de la glorieuse époque de la Crise d’octobre, et à envier les pays où, supposément, il se passe de « vraies affaires »?

C’est vrai que le Québec a longtemps été un endroit replié sur lui-même, et presque criminellement ignorant de certaines réalités mondiales. Et c’est un aspect du Québec que Denys Arcand,  justement, a été un des premiers à pointer du doigt, et à énoncer de façon lumineuse. Et oui, c’est un aspect de nous qui choque encore beaucoup de gens, et que certains se refusent encore à admettre.

Mais d’ici là, ne pourrait-on pas commencer à entrer sérieusement dans le 21e siècle à cet égard? Oui, on a passé les derniers siècles à l’abri des grands cataclysmes, des grands conflits et des grands déchirements, et c’est bien notre chance. (Et faites-moi plaisir, faites comme moi: touchez du bois.) Mais on n’a plus forcément à être arriérés quant à notre compréhension et notre sensibilité face au reste du monde. D’une part, avec les années, on commence à avoir accueilli sur notre sol pas mal de gens qui, eux, ont vécu, sous d’autres cieux, plus que leur part de souffrance, et contribuent  à changer peu à peu nos perspectives. Et, d’autre part, ici, on compte de plus en plus de gens qui vont se frotter à d’autres réalités, et s’ouvrent l’esprit en conséquence. Ce qui m’amène justement à  Gilbert Rozon Qui se promène un peu partout, et mène la bataille pour le positionnement de Montréal, en osant s’attaquer à quelques vaches sacrées; à commencer par notre sacro-saint « c’est donc d’valeur qu’on aie perdu la bataille des Plaines d’Abraham ».

Et donc, si vous avez 2 minutes, allez voir l’entrevue de Rozon sur le site des Francs-Tireurs  (entrevue faite par… Patrick Lagacé; il y a là une belle synchronicité, non?). Et tant qu’à vous faire plaisir, regardez aussi celle-ci, accordée à Marie-France Bazzo  il y a un an et demi, à Bazzo.tv. On en reparlera.

Post-scriptum web et simplicité

J’ai découvert avec joie, ce matin, la chronique et le blogue de Nathalie Collard, de La Presse, qui parle de la tendance émergente du « Slow Media« , et fait état, elle aussi, de certains propos de Malcolm Gladwell que j’avais évoqués dans un précédent billet. Et donc, comme le M. Jourdain de Molière qui faisait de la prose sans le savoir, je découvre que je faisais du Slow Media sans le réaliser. (Ou, pour être VRAIMENT prosaïque: à force d’être un peu out, on finit par redeveir in…) Et d’ici là, je passerai la journée de demain au RDV Web, où il y aura, finalement, près de 700 personnes. Et où je ferai encore plus le plein d’idées que je ne trouverai pas le temps d’approfondir à mon goût dans mon blogue. C’est la vie.

MAJ 21-04-10

Je suis tombée par la suite sur ce billet intitulé A-t-on le cinéma qu’on mérite ?, par Julie Nado sur le blogue Les récits d’Amélie. Où l’on cite en exemple un pays qui a eu l’art, ces derniers temps, de produire des films de qualité, mais qui relève du domaine de l’intime.  À savoir…. La Roumanie.: « Il ne se passe presque rien dans les films roumains : pas de guerre tragique ni d’épisodes glorieux de résistance au communisme, très peu de personnages promis à un noble destin, des villes grises, des campagnes désertées. Et pourtant, il s’agit à mon sens d’un des cinémas nationaux les plus fascinants du moment. »  C’est pourtant un endroit dont on ne peut pas dire qu’on y ait été trop confortable, et depuis un bon moment…

  1. Bonsoir Ducas,

    Bravo !

    J’ai moi aussi lu Lagacé avant de regarder Arcand et Bureau à Télé-Québec. Ce qui me chicotte le plus après avoir pris connaissance des deux, c’est de voir comment le chroniqueur de La Presse a frôlé la limite de la « citation hors contexte » d’Arcand. Heureusement que le cinéaste ne pas tourne les coins aussi rond que lui.

    C’est tout de même ironique qu’une chronique sur Arcand vienne nous dire que notre cinéma est petit. S’il était si petit, comment pourrait-il y avoir Arcand ?

  2. Vos papiers sont toujours pertinents.

  3. Jean-Serge Baribeau

    PERMETTEZ-MOI DE PROPOSER LE COMMENTAIRE QUI A ÉTÉ PUBLIÉ DANS LE CARNET DE CHRISTIANE CHARETTE:

    Envoyé par Jean-Serge Baribeau

    22 avril 2010 à 11 h 27 HAE

    Cela fait longtemps que Denys Arcand me casse les pieds et plein d’autres parties de mon anatomie en ne cessant de proclamer unilatéralement que le Québec a sombré dans LE CONFORT ET L’INDIFFÉRENCE. Que «le peuple» ait dit NON à deux reprises lors de référendums timides proposant une sorte de «souveraineté», cela ne prouve pas que le peuple est un peuple de poltrons, d’indifférents, de confortables et de médiocres.

    Aussi, est-ce que le peuple est plus CONFORTABLE que Denys Arcand et sa clique? Cela, j’en doute. Quant à L’INDIFFÉRENCE, je dirais qu’elle provient plus de la médiocrité des dirigeants de tout acabit que du peuple lui-même.

    Quand Lagacé, allié intellectuel de Denys Arcand, prétend que les Québécois ne s’intéressent pas aux autres, aux autres cultures et manières de vivre, il affirme le contraire de ce que je pense, moi qui, sans vouloir sembler prétentieux, suis sociologue depuis plus de quarante ans. On rencontre des Québécois un peu partout dans le monde. Pour un peuple d’à peu près huit millions de personnes, c’est pas si mal. De plus les nouvelles internationales, au Québec, sont relativement nombreuses et assez bien faites. Pour des raisons «familiales», je séjourne assez régulièrement à Charleston en Caroline du Sud et je dois dire que le côté «concentrationnaire» et narcissique de la plupart des bulletins de nouvelles me laisse consterné. Je m’ennuie souvent des nouvelles «québécoises», quels que soient leurs défauts et leurs limites.

    Je n’en peux plus de voir des cinéastes bien confortables et des journalistes en mal de «scoops» et de pseudo-originalité cracher leur mépris du peuple québécois.

    Pour l’instant le problème du Québec, c’est largement celui de ses élites incompétentes et corrompues.

    JSB

  4. J’apprécie beaucoup ce que vous écrivez à propos de l’intime qui, s’il est représenté avec justesse et surtout avec art, acquiert une portée universelle.

    Et lorsqu’on s’attarde aux propos de Denys Arcand (sans passer par un intermédiaire de La Presse), on y trouve matière à débat tout de même. Comme le disait Dany Laferrière à Radio-Canada récemment, « Tout esprit intelligent doit dire du mal de son pays, il doit contester sa culture et sa société. » J’ai cependant eu l’impression, en écoutant l’entrevue, qu’Arcand fait davantage dans la nostalgie que dans la contestation… Une réflexion à poursuivre!

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