Droits d’auteur, etc. : nos artistes épousent-ils trop de causes pour leur propre bien?

Le sujet me trottait déjà dans la tête, sans que j’aie pris la peine de m’y arrêter et de préciser pourquoi. Puis, Jean Lapierrelors de sa chronique du 1er décembre  à l’émission Puisqu’il faut se lever  au 98,5 FM, a parfaitement mis le doigt sur la question: à force d’embrasser trop de causes, les artistes finissent-ils par mal en étreindre certaines ? À commencer par leur propre cause, en l’occurrence en l’occurence en ce qui a trait aux droits d’auteur… 

Pour résumer brièvement : un projet de loi (C-32) visant à « moderniser » La Loi sur le  droit d’auteur (qui, on s’entend, en a bien besoin), a été déposé devant la Chambre des communes.  Le projet comporte notamment des exceptions qui permettraient l’utilisation gratuite d’œuvres littéraires, artistiques et musicales, sans l’accord de leurs créateurs. Ce avec quoi les artistes ne sont pas d’accord; et ils évaluent que ces exceptions les priveraient de revenus évalués à 75 millions $. Ceux-ci demandent notamment le maintien des protections existantes et l’annulation des exceptions envisagées, de même que l’introduction de mesures modernes de partage des revenus, qui incluraient la perception de redevances au moment de la vente de lecteurs de musique numérique (iPod et autres MP3).  L’opposition libérale, elle, vient de proposer un compromis, sous forme de création d’un fonds annuel de 35 millions$,  versés aux artistes en compensation de la copie privée.

Plus d’une centaine d’artistes se sont rendus le 30 novembre dernier, en autobus, manifester devant la colline parlementaire à Ottawa. 

Luc Plamondon, auteur-compositeur de réputation internationale et grand défenseur, historiquement, des droits d’auteurs ici, était l’un de ceux qui menaient la charge. Et il a relaté l’événement, le week-end dernier, avec  une lettre au lecteurs dans La Presse… rédigée de façon très personnelle, sous forme de texte de chanson. Un extrait : Nous étions cent, plutôt cent vingt / Toutes générations sur le même pied / Tous styles et tous genres emmêlés  / Trois autobus c’était pas trop / On aurait pu remplir un train  / Ah! mes amis qu’on était bien! Mais prenez le temps d’aller lire l’entier du texte

Les artistes québécois devant la colline parlementaire, le 30 novembre dernier: un coup d'épée dans l'eau ? (Photo: Le Devoir)

Et maintenant, sur un ton moins poétique, voici ce qu’en disait entre autres Jean Lapierre, qui, lui, est chroniqueur politique:  « On se demandait ce qu’ils faisaient là. Est-ce que c’était sur le gaz de schiste, sur l’homophobie  ? Les artistes ont tellement de causes ces temps-ci…. Et ils ont oublié de faire de la pédagogie. Ils parlaient de C-32, C-32… Et sincèrement, ils n’ont pas fait de pédagogie. Ils sont allés à Ottawa se dévisser le nombril sur leur propre affaire, et ils ont oublié d’en parler au public. « 

Ce qui  aurait pourtant son importance, étant donné que les mesures qu’ils réclament impliqueraient que le public, justement, paie plus cher…

« Et donc, ce n’est pas vrai qu’ils vont avoir de l’influence si le public n’est pas dans le coup, poursuivait le chroniqueur. (…) Et ce sont des gens qui ont des tribunes, quand même, qui peuvent expliquer les affaires. Mais débarquer comme ça à Ottawa, sans  l’appui du public, ça ne changera rien.  Et ces temps-ci, les artistes enfourchent tellement de chevaux à la fois, qu’on ne s’y retrouve plus. »

Que c’est vrai. Bien sûr, on voit partout dans le monde, et ce n’est pas d’hier, des artistes mettre à contribution la tribune dont ils disposent pour faire avancer des causes qu’ils trouvent valables. Mais depuis quelques temps, on a l’impression d’une ruée artistique sur les causes.  Pour commencer, depuis une couple d’année, le vert est à la mode.  Il est de bon ton d’être  « environnementaliste » à tous crins, quitte, comme j’en avais parlé il y a déjà 2 ans, à prendre des positions  simplistes sur des enjeux complexes. C’est d’ailleurs ce qui se passe ces temps-ci avec la fameuse campagne sur le gaz de schiste.  En plus, avec l’essor du viral et des réseaux sociaux, lancer une campagne est devenu tellement facile… Il y a celle qui réclame un moratoire sur gaz de schiste, celle contre  l’homophobie… Bien sûr, on parle ici de causes importantes et valables, qui méritent de bénéficier du soutien et de la résonnance que peuvent leur donner des artistes. Mais à trop s’éparpiller, les tenants de ces causes risquent à la longue de diluer leur propos. D’ailleurs, il en va des causes comme des séries télé: il y a certains artistes qu’on a l’impression de voir partout, au point qu’on ne sait plus toujours à quelle émission – ou cause – on a affaire…

Et maintenant, avec la question des droits d’auteurs,  la cause à défendre  concerne directement les artistes.  Pour avoir une idée des enjeux, on peut lire ce billet sur le blogue de Guillaume Déziel,  gérant du groupe Misteur Valaire, qui réfléchit d’ailleurs beaucoup sur tout ce qui touche au modèle d’affaires en culture. D’ailleurs, je vais me permettre une petite auto-plogue corporative, et mentionner que Guillaume Déziel sera un des conférenciers à la journée Infopresse sur le marketing des produits culturels, le 9 février prochain.

Et, non seulement le sujet est complexe (au moins autant que les questions énergético-environnementales ou le gaz de schiste), mais, en plus, on veut demander  aux consommateurs de payer plus cher !  Tout un défi de communication… qui, hélas, ne semble pas avoir été relevé avec trop de succès pour l’instant.  Et c’est vraiment dommage, parce qu’il s’agit d’un enjeu d’une immense importance, et dont on n’a pas fini de se débattre. Alors que le gouvernement conservateur, de son côté, ne se gêne pas pour souligner que tant la proposition des artistes que celle des Libéraux équivaut à imposer « une  nouvelle taxe au public ».

Je vais d’ailleurs aborder un aspect qui me frappe dans ce défi de communication… au risque de me faire tirer des roches dans la communauté artistique. Il y a, en effet, un contraste frappant entre ces personnalités que la plupart des gens associent à un certain « glamour », et, – oui, oui! – une certaine richesse –  et leur discours qui parle du danger d’appauvrissement.  Je le sais bien, que des gens comme Ariane Moffatt, Florence K, Yann Perreault et même Louise Forestier sont loin, dans les faits, de mener des vies de multi-millionnaires.  Et surtout, qu’il y a plein d’artistes émergents qui ont besoin de s’établir et de pouvoir vivre de leur art. Mais je ne suis pas sûre que ce soit si clair pour la plupart des gens : ce sont des personnalités que la plupart des gens voient, dans les médias, à des galas, des « tapis rouges », parfois ici, parfois à Paris, souvent habillés par des designer… et qui, en tout cas, donnent l’impression de mener une existence bien loin du train-train propre au commun des mortels… Ceux-là même qu’on veut convaincre du bien-fondé de leur demander quelques sous de plus pour les téléchargements (ou d’établir un fonds financé par de l’argent public). Et puis, on n’associe sûrement pas un Luc Plamondon ou un Robert Charlebois à la pauvreté.

Attention, que personne ne se méprenne :  je ne reproche surtout pas à quiconque ici d’être parvenu à s’enrichir. Surtout pas à un artiste…. Au contraire, j’applaudis. Et je le souhaite au plus de monde possible. Je dis seulement qu’il y aurait, il me semble, du travail à faire au point de vue des communications. D’une part, comme on le disait au début de ce billet et comme le soulignait Jean Lapierre, au point de vue de la pédagogie.  Et puis, sans doute, au point de vue de l’image.

Beaux défis de relations publiques… Y a-t-il des communicateurs qui voudraient le relever ?

MAJ – 5-01-2011

Je viens juste de découvrir le dernier billet du blogue Chroniques Blondes, de Geneviève Lefebvre, qui s’interroge aussi, à partir d’un point de vue différent, sur cette fameuse notion d' »artistes engagé ». À lire…

  1. Vous viendrait-il à l’idée de critiquer le fait que le gouvernement conservateur dépense l’argent public en vidéo, pub et produits dérivés pour affaiblir les revenus de la communauté artistique canadienne ? Vous viendrait-il à l’idée de comparer les moyens des forces en présence pour constater, à tout le moins, que la disproportion des moyens oblige les plus connus d’entre les artistes à chevaucher encore une fois leur notoriété pour faire contrepoids ? Vous viendrait-il à l’idée de reconnaître que le monde des médias est devenu tel que les spécialistes ont moins de poids qu’une star pour infléchir l’opinion publique et que les journalistes voudront bien davantage avoir à leur émission ou en entrevue une personnalité artistique qu’un pédagogue ? Le seul fait de mentionner encore une fois la richesse de certains artistes occulte le fait que la très grande majorité des sculpteurs, écrivains, peintres, chanteurs et musiciens de ce monde vivent de trois fois rien ou d’un autre travail que de leur art. Votre propos invalide les enjeux pourtant gravissimes avant même que la lutte ne soit livrée et démontre votre méconnaissance de tout ce qui est accompli par ailleurs par les pédagogues, et les écrivains, et les journalistes, et les artistes, et les politiciens, en métropole comme en région, pour informer l’opinion publique au-delà de l’apparence. Je classe votre propos parmi ceux qui « surfe » sur l’apparence des choses et le «médiatique» plutôt que de faire l’effort d’une réelle compréhension du drame qui se joue ici et à l’international sur le droit d’auteur. Les créateurs auraient bien besoin de journalistes informés, analytiques et critiques qui éditorialisent sur le fond plutôt que la forme.

  2. Il y a quelques années, on reprochait aux artistes de ne pas être impliquer; maintenant on leur reproche de trop l’être…Quand même incroyable!

    Je constate également qu’on mélange allègrement (encore une fois) commentaire et analyse. Dans le texte qui nous occupe, on va même jusqu’à « commenter des commentaires » et on essaie de faire passer ça pour de l’analyse ! Décidément, les médias québécois tournent en vase clos…Inévitablement, on reste confiné dans des lieux communs…

  3. En effet, ils auraient ainsi laissé beaucoup moins de prise à la démagogie, très facile à utiliser. Le fait que des « artistes pleins nous demande encore plus d’argent, à nous, pauvres citoyens » soit invoqué couramment par certains éditorialistes en est la preuve…
    Vraiment une opération ratée.

  4. En passant, je réagissais à l’article et non au propos de ma prédecesseure.

  5. Je n’ai aucun problème à voir des artistes prendre appui sur leur notoriété pour faire avancer une cause. Encore plus quand c’est la leur (droits d’auteur).

    Là où j’ai un problème, c’est quand ils servent de paravent à des organismes qui choisissent de ne pas s’identifier. Deux exemples :

    Culture en péril (http://youtu.be/UrATQeLLKX0)
    dont on a jamais su qui est l’émetteur et ce, en pleine campagne électorale où les dépenses de tous les camps doivent être comptabilisées. (Remarquez que le respect des règles d’identification de l’émetteur n’a pas non plus été l’apanage des libéraux au référendum de 95, mais ça sort de la question des artistes).

    Wo-Les gaz de shiste (http://www.youtube.com/watch?v=XIdKWcKoa0Q)
    où les artistes sont bien reconnaissables mais où les créateurs du message nous invitent à avoir le courage de signer une pétition sans qu’eux aient celui de signer leur message. J’ai beau être sympathique à la cause, le moyen utilisé me laisse perplexe et me rend hésitant.

    Je veux bien me laisser influencer par un groupe de pression si son message est convaincant, mais qu’il le fasse à visage découvert comme l’a fait la Fondation Jasmin Roy (http://youtu.be/Z-54upveS5o).

  6. Si des commentateurs comme Lapierre et compagnie peuvent propager leur lumière (?) sur beaucoup de sujets différents (dont la culture), je ne voit pas de problème à ce que les « artistes » prennent position sur ces même sujets. Vous en faite ce que vous voulez mais on met au moins le sujet sur la place. Je ne crois pas que M. Lapierre aurait parlé de ce sujet sans cette manifestation.

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