Offre d'achat sur Cossette: ce qu'il y a de dommage… et peut-être même d'inquiétant

La bataille qui sévit en ce moment pour le contrôle de Cossette, (il en est aussi question dans mon précédent billet), signifie déjà, pour l’agence, la fin de beaucoup de choses. Peu importe qui, de François Duffar et son groupe Cosmos Capital, ou de Claude Lessard, l’actuel dirigeant, finira par gagner, cette lutte aura été au prix de grands dommages pour la réputation et la perception de l’entreprise, et, à l’interne, au moral des employés. Imaginons seulement ce qu’est le climat, avec ces guerres qui ont opposé, depuis des années, les tenants de Lessard à ceux de Duffar… le tout accompagné, au fil du temps, de nombreux départs. Parfois volontaires, et parfois pas.

Et, comme le souligne avec à-propos l’auteur du blogue Montreal Social Media, Nicolas Cossette (aucun lien avec l’agence; il est chez NVI) dans son récent billet, l’agence est devenue une sorte de symbole de notre industrie : une agence québécoise (pas seulement du Québec, mais de Québec, en plus), qui est non seulement devenue la plus grande agence canadienne, mais était en train de se tailler une place notable sur la scène mondiale. Tout ça, en restant indépendant des grands conglomérats comme WPP, Omnicom, Havas, Publicis, qui dominent désormais l’industrie. Ici, Cossette a engendré nombre de campagnes mémorables (pour des Provigo, Club Med,  BellMolson, McDonald’s…), qui ont marqué l’industrie et le paysage de la pub, et ont imposé un style. L’agence , et on l’oublie un peu aujourd’hui, a aussi été une pionnière dans le concept de la convergence des disciplines, discours devenu très à la mode depuis : faire travailler ensemble la création, la stratégie média, la promotion, les relations publiques, etc.  (et, par la suite,  l’interactif), plutôt que de fonctionner « en silos ». Même si certains diront que, depuis, l’agence était devenue plus habile à vendre ce discours qu’à l’appliquer vraiment…

Cossette, avec ses forces et, à l’occasion, ses moments de magie, était le fruit d’une direction qui se voulait « collégiale », et issue de la vision de plusieurs associés, certains là depuis les tous débuts, d’autres arrivés par la suite. Mais, avec le temps, ce bel équilibre a été remplacé par une polarisation autour de Claude Lessard d’une part, et de François Duffar de l’autre. Avec notamment, comme pierre d’achoppement ces dernières années, la pertinence pour Cossette de demeurer une entreprise cotée en Bourse. Je suis loin de tout savoir, mais c’est, en gros, l’historique et la dynamique qui est à l’oeuvre.  

Donc, qui dit polarisation dit lutte de clans, et celle que l’on a vue chez Cossette ces derniers temps a laissé ses marques. Et, si jamais, Duffar et son groupe, Cosmos Capital, l’emportaient, les plus proches tenant de Claude Lessard ne pourraient que partir. À commencer par Pierre Delagrave, un des trois associés qui conservaient jusqu’à dernièrement le contrôle de l’entreprise, et qui a été le pionner de la vision de Cossette quant aux médias, à la recherche, et, par la suite, à la technologie et l’interactivité.

Mais que risque-t-il d’arriver? Pour voir et comprendre les scénario possible, je ne vous recommanderai jamais assez de lire le billet clairvoyant de François Pouliot, publié sur le site Argent, dès le jour de l’annonce de l’offre d’achat. Et, parmi les scénarios qu’il évoque, il y la prise de contrôle de Cossette par une multinationale, donc, par un WPP, un Omnicom, un Havas… François Duffar et ses alliés sont, de toute évidence, convaincus que leur initiative est la meilleure solution pour redonner à Cossette un peu de son lustre et de son dynamisme d’autrefois.  Et, si on se fie aux commentaires lus et entendus un peu partout (y compris sur le site d’Infopresse), il y a pas mal de monde dans le milieu pour penser la même chose.  Mais il y a aussi une boîte de Pandore qui est maintenant ouverte.

Parenthèse vulgarisation : beaucoup ont signalé que la mécanique financière (avec les questions de convention de fiducie et de conversion des actions à droit de votes multiples en actions à droit de votes simple, etc., etc.,) dont il est question depuis le début, est bien obscure.  Voici donc quelques explications. Encore une fois, j’y vais à grands traits et je résume.  Les actions à votes multiples permettent, dans les faits, de contrôler la compagnie. Dans bien des entreprises, même si des actions sont disponibles sur le marché boursier,  la convention est élaborée de telle façon que les dirigeants conservent le maximum des votes, et donc le contrôle sur les décisions : leurs actions « à vote multiple » pèsent plus lourd que les autres.

En ce qui concerne Cossette, lorsque l’entreprise est devenue publique, en 1999, on a élaboré la convention de façon à donner ce contrôle aux associés. Et cela, en s’arrangent pour que la limite minimum soit de trois. On a donc prévu qu’aucun ne puisse posséder plus de 30% des actions à votes multiples. Autrement, les actions sont sujettes à être converties en actions « ordinaires » (à vote simple) au-delà d’un certain délai.  Chez Cossette, il restait trois associés : Claude Lessard, président et chef de la direction, Pierre Delagrave, président des divisions Cossette Média et Fjord Marketing+ Technologie, et enfin Georges Morin, vice-président, développement. Lequel Georges Morin a démissionné de Cossette samedi dernier, pour se rallier à François Duffar, et à Cosmos Capital.  C’est donc cette démissions qui a tout mis en branle, en faisant passer le nombre sous le seuil critique, et en rendant les actions à vote multiples sujettes à redevenir de « simples » actions, susceptibles d’être rachetées.

Retour au fil des événements : l’offre de rachat faite par Cosmos Capital est de 4,95$. Ce qui, soulignait-on au moment de l’offre, représentait une prime, par rapport à la valeur de l’action en bourse, qui se n’allait pas, ces derniers temps, au-delà de 3,25$. Mais, depuis hier, comme on peut le suivre entre autres sur la section les cotes de la com d’Infopresse,  l’action se promène autour de 5,20$, 5,25 $. À partir de là, on est dans l’inconnu. Que fera Claude Lessard, et de quelles ressources et de quels appuis dispose-t-il ? Et, du côté de Cosmos, avait-on anticipé un intérêt, y compris à l’international, qui pourrait engendrer une hausse? Et si oui,  jusqu’à combien?  Et finalement y aura-t-il, oui ou non, un tel regain d’intérêt ?

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