Hommage à Michel Rabagliati et ses "Paul"

Paul à Québec, de Michel Rabagliati: le plus récent d'une série, finaliste au Prix du Grand public du Salon du livre de Montréal

Paul à Québec, de Michel Rabagliati: le plus récent d'une série, finaliste au Prix du Grand public du Salon du livre de Montréal

Oui, il y aurait des choses à dire, encore une fois, sur les difficultés de nos journaux, surtout à la lueur de la menace d’une fermeture, au moins momentanée, qui plane sur La Presse: hypothèse qui aurait relevé de la fiction pure il y a peu de temps, devenue presque plausible aujourd’hui. Et j’aurai sûrement – hélas –  l’occasion d’y revenir.

Mais en attendant, alors que vient de s’ouvrir le Salon du Livre de Montréal,  je vais me permettre de parler d’un auteur que j’aime beaucoup, et depuis longtemps: c’est Michel Rabagliati, dont le dernier ouvrage, Paul à Québec, est en nomination pour le Prix du Grand public du Salon. D’autant plus qu’il y a beaucoup de liens à faire entre la série des « Paul » et le domaine des communications. D’abord, parce que Rabagliati a gagné sa vie, au départ, comme graphiste et illustrateur, à la fois en publicité, et, côté éditorial, dans divers journaux et magazines à l’échelle de l’Amérique du Nord. Mais il n’y a pas que cela. J’y reviendrai.

Brièvement, pour ceux qui ne connaîtraient pas l’oeuvre et l’auteur: le héros des bandes dessinées « Paul » est l’alter-ego de Rabagliati, qui partage avec nous sa vie quotidienne.  Je l’ai pour ma part découvert avec Paul a un travail d’été (2002), où celui-ci, drop-out du secondaire et apprenti dans une imprimerie, relate l’expérience marquante qu’a été pour lui son travail comme moniteur dans un camp d’été pour jeunes en difficulté. A suivi Paul en appartement (2004), où, étudiant, puis jeune graphiste, il quitte papa-maman et se met en ménage avec Lucie, rencontrée au collège. Puis, dans Paul à la pêche (2006), ses vacances estivales servent de prétexte pour raconter, notamment les essais de Paul et Lucie pour avoir un enfant.

Appel aux lecteurs: qui était "Jean-Louis" ?

Appel aux lecteurs: qui était "Jean-Louis" ?

Paul à Québec, paru au printemps dernier, apporte à Michel Rabagliati une sorte de consécration, avec sa plus importante couverture de presse jusqu’à maintenant, et une place parmi les finalistes au Prix du livre de la Ville de Montréal (décerné lundi dernier à Dany Laferrière), et, comme je le disais, pour le Prix du Grand public du Salon du livre de Montréal, qui sera remis lundi prochain. Pourtant, Paul à Québec tourne autour d’un sujet particulièrement ardu, à savoir la maladie, puis la mort, du père de Lucie. Et, au risque de ne pas rallier tout le monde, j’irai jusqu’à dire que ce n’est pas, selon moi, le meilleur de la série: il y a un peu moins de cette fluidité narrative, due à l’habile utilisation des « flashbacks », que l’on retrouve beaucoup dans les autres. On y utilise par contre aussi adroitement les autres procédés empruntés au cinéma (découpages, fondus, plans varié), qui donnent son charme à la série depuis le début. Le sujet même du livre y est sûrement pour quelque chose. Rabagliati disait, en entrevue, combien il lui avait été lourd de se replonger dans une période aussi tragique. Mais si je souligne cela, c’est davantage pour signaler à ceux qui, grâce à ce succès, viennent juste de découvrir les « Paul », que les autres sont au moins aussi bons…

Et pourquoi me plaisent-ils tellement ? D’abord parce qu’ils font du bien, alors que la littérature québécoise donne l’impression d’être dominée par le dépression extrême, voire le suicide. Et que, autrement, c’est le cynisme qui est à la mode. Les « Paul » arrivent à faire mentir les clichés du genre « les gens heureux n’ont pas d’histoire » ou « on ne fait pas de bonne littérature avec de bons sentiments ». OK, c’est peut-être l’exception à la règle. Mais c’est une exception drôlement bienvenue.

Anna Goodson, représentée par Rabagliati sous les traits de "Brenda Steinberg"

Anna Goodson, représentée par Rabagliati sous les traits de "Brenda Steinberg"

D’autre part, on retrouve, dans ces livres, un concentré rare de ce qu’est le Québec. Mine de rien, les « Paul » sont presque un cours de « Québec 101 », avec une foule de références sur les mentalités, la culture, les habitudes, les valeurs, un peu d’histoire… J’ai réalisé cela après m’être fait demander quelques fois, par des gens fraîchement débarqués, quoi lire pour bien comprendre Montréal et le Québec. J’avais deux réponses : Paul à la pêche, et certains recueils des chroniques de Josh Freed (de The Gazette).  D’ailleurs, à l’approche de Noël, voilà peut-être, pour ceux d’entre vous qui travaillent en communication,  une bonne idée de cadeau « à saveur québécoise »  pour des clients ou partenaires du Canada anglais ou des États-Unis… Les livres ont été traduits  en anglais, et les traductions sont très bien faites.

Continuons d’ailleurs avec des références  encore plus directes au monde des communications. Elles abondent, en particulier dans Paul en appartement, alors que Paul étudie au « Studio Séguin »… qui, dans la réalité, était le Studio Salette (devenu depuis le Collège Salette), et par lequel sont passés pas mal de gens des milieux du graphisme, du design et de la pub ici. Rabagliati avait fait cette révélation dans une émission de Bandeapart.fm il y a quelques années, où il livrait quelques autres clés sur son oeuvre. Dans ce livre, Paul et ses camarades se font initier au design, et aux notions et références culturelles qui l’entourent, grâce à « Jean-Louis », prof nettement plus allumé et dévoué que la moyenne.  (Certains lecteurs savent-ils qui a inspiré ce personnage ? N’hésitez pas à me l’indiquer.)

On réalise aussi la vitesse fulgurante avec laquelle nos métiers ont évolué. Dans Paul en appartement, celui-ci, graphiste pigiste, compose un « journal d’entreprise » assis à sa table à plan incliné, et travaille ses maquettes, exacto à la main. Et j’ai bel et bien vu, moi, des Infopresse se faire comme ça. Quoique pas pour longtemps…  Et, dans Paul à la pêche, il y a tout un passage, à la fois hilarant et désolant, sur la surenchère  technologique galopante qui nous envoie à intervalles réguliers, comme des zombies, dans les boutiques d’informatiques pour acheter (à prix d’or), le-dernier-modèle-beaucoup-plus-rapide-avec-un-écran-beaucoup-plus-grand-qui-va-nous-permettre-d’être-beaucoup-plus-efficace. Ça se poursuit dans Paul à Québec, avec l’arrivée d’internet (ah!, les modems…). D’ailleurs, c’est son agente de l’époque, Anna Goodson, (Brenda Steinberg dans le livre), qui l’incite à utiliser cette nouvelle technologie : « Fedex ? You’re kidding me ! Shippe-lui ça par Internet ». Dans un billet d’avril dernier sur son blogue, Anna Goodson avait d’ailleurs salué le lancement de Paul à Québec et le succès de Michel Rabagliati… qui n’a désormais plus besoin de ses services, puisqu’il se consacre désormais à temps plein à ses livres.

Je participe demain matin (vendredi le 20 novembre, de 9 à 11 heures), dans le cadre du Salon du livre, à une table ronde sur le thème La culture dans les médias, en compagnie de Yves Beauregard, président de la SODEP, Caroline Morin, recherchiste pour Tout le monde en parle à Radio-Canada, Jean-François Nadeau, directeur des pages culturelles au Devoir, et Manon Trépanier, libraire à la Librairie Alire et collaboratrice à La librairie francophone à la radio de Radio-Canada. Je ne sais pas ce qui en sortira, mais, en attendant, on ne pourra pas dire que je n’aurai pas fait ma part pour favoriser le succès d’un produit culturel québécois.

Sur ce, bonne lecture. Et bon Salon du livre à tout le monde.

MAJ

De retour du Salon du livre, je m’empresse de souligner qu’il y a justement une mini-exposition dédiée à Michel Rabagliati, dans le hall d’entrée du salon. On y retrouve plusieurs planches originales, de même que des photos de « vrais » endroits représentés en bd dans ses livres. Il y a aussi quelques autres oeuvres, parfois plus « commerciales », conçue par lui : illustration, couvertures de livres et de disques, packagings, etc. L’expo est organisée par son éditeur, La Pastèque. Ce qui me donne d’ailleurs l’occasion de souligner le travail de cette petite boîte, qui est par ailleurs une habituée des prix Grafika.  D’autre part, les traductions anglaises sont publiées par Drawn & Quarterly, un éditeur montréalais qui a aussi une production très intéressante. Enfin, il est encore temps pour les fans de Rabagliati de voter pour lui comme Prix du Grand public au Salon. Les coupons de participation sont disponibles dans La Presse, paraît-il.

  1. Mois aussi j’aime beaucoup les Paul, et encore plus votre analyse : c’est tellement vrai qu’ils décrivent la société québécoise des années 60 à aujourd’hui! Mon préféré : Paul a un travail d’été, peut-être parce que c’est le premier que j’ai lu.

  2. Par le passé, peu de journalistes se sont interrogés sur «Jean-Louis» et je suis très émue que vous l’ayez fait. «Jean-Louis» se nommait Jean-Charles Desjardins. Jean-Charles était mon ami et mon associé à la direction du Collège Salette. Un homme exceptionnel et un enseignant passionné et très dévoué.
    Il est malheureusement décédé en 1994 d’une crise cardiaque à l’âge de 45 ans. Il était un homme chaleureux et sympathique dont la mémoire survit à travers l’oeuvre de Michel, mais aussi dans le coeur de chacun de ses étudiants et dans l’esprit du Collège comme dans ses enseignements.
    Je remercie votre curiosité et votre plume qui me permettent aujourd’hui de souligner bien humblement le passage, beaucoup trop bref, de ce grand homme dans notre univers créatif et j’ajoute mes félicitations à Michel pour son impressionnante carrière et à vous, pour ce si plaisant article.
    Ginette Gervais
    Dirctrice générale du Collège Salette

  3. Par le passé, peu de journalistes se sont interrogés sur «Jean-Louis» et je suis très émue que vous l’ayez fait. «Jean-Louis» se nommait Jean-Charles Desjardins. Jean-Charles était mon ami et mon associé à la direction du Collège Salette. Un homme exceptionnel et un enseignant passionné et très dévoué.Il est malheureusement décédé en 1994 d’une crise cardiaque à l’âge de 45 ans. Il était un homme chaleureux et sympathique dont la mémoire survit à travers l’oeuvre de Michel, mais aussi dans le coeur de chacun de ses étudiants et dans l’esprit du Collège comme dans ses enseignements.Je remercie votre curiosité et votre plume qui me permettent aujourd’hui de souligner bien humblement le passage, beaucoup trop bref, de ce grand homme dans notre univers créatif et j’ajoute mes félicitations à Michel pour son impressionnante carrière et à vous, pour ce si plaisant article.Ginette GervaisDirctrice générale du Collège Salette
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  4. Bravo à un Salettien célèbre ! « Collège Salette - pingback on 18 février 2011 at 11 h 04 min

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