Duffar et Cossette : chronique d'une offensive annoncée

Pour ceux qui étaient le moindrement près des acteurs concernés, la nouvelle de la tentative de prise de contrôle de Cossette par François Duffar n’a pas été une grosse surprise. On se demandait simplement quand cela allait arriver… 

Les deux principaux acteurs impliqués, Claude Lessard et François Duffar, peuvent tous deux prétendre au titre d' »associés fondateurs » de l’entreprise. Claude Lessard s’est joint à Cossette en 1971, au début de la vingtaine, à peine sorti de l’université. François Duffar a joint l’entreprise en 1974, après être arrivé de France et avoir travaillé notamment au ministère des Communications. Lessard a fait partie des associés qui, dès 1972, ont racheté l’agence et jeté les bases de la formule qui allait faire son succès. François Duffar a piloté l’ouverture du bureau à Montréal, puis largement contribué au développement de Cossette, notamment à Toronto, Vancouver, Halifax, New York et Londres. Au moment de son départ, il avait le titre de vice-président du conseil et président de Cossette, et Claude Lessard celui de président du conseil et chef de la direction. Pendant un bon moment, quand on parlait de la direction de Cossette, c’était le tandem « Lessard et Duffar ».

Mais une dissension profonde s’était dessinée depuis les dernières années entre Duffar et Lessard sur la gestion et l’orientation de l’agence, à commencer par la présence de Cossette sur le marché boursier. Duffar en était arrivé à contester le fait que Cossette demeure une entreprise publique, avec tout ce que cela implique : formalités, obligations envers les actionnaires, pressions pour favoriser les résultats trimestriels au détriment des objectifs à long terme… Ce qu’il n’avait pas été le premier ni le seul à soulever: dès 2001, Daniel Rabinowicz, alors associé et co-président de Cossette à Montréal et Toronto, avait quitté l’agence, clairement en désaccord avec cet état de fait. Rabinowicz est aujourd’hui président du bureau new-yorkais de l’agence Taxi, une agence fondée par Paul Lavoie, un autre ex-Cossette, mais qui a quitté l’entreprise depuis beaucoup plus longtemps (1992).

François Duffar, lui, a fini par prôner une re-privatisation de l’agence et de rallier des appuis à cet égard (certains avaient même parlé de « putsch » à l’époque).  Il avait clairement échoué : à l’automne 2006, on apprenait que François Duffar quitterait, à partir du début 2007, les opérations quotidiennes. Il demeurait au conseil d’administration et se consacrait, officiellement, au « développement de relations d’affaires ». En mars 2009, on apprenait qu’il quitterait son poste de vice-président au conseil d’administration dès juin.

La suite, on l’a eu hier, avec l’offre d’achat non-sollicitée d’un groupe baptisé Cosmos Capital, présidé par François Duffar et comprenant entre autres Jean Monty, ex-dirigeant de BCE, Daniel Bernard, un homme d’affaires français… mais surtout, Georges Morin, qui était encore,  jusqu’à samedi dernier, vice-président principal, développement de Cossette.

On pourrait dire, d’une certaine façon que c’est Georges Morin qui a décidé de tout mettre en branle. Mêlé étroitement jusque la gestion de l’entreprise, il semble en tout cas en être arrivé lui aussi à un désaccord avec la direction actuelle. Car, brièvement, et sans multiplier les détails techniques, il avait désormais le pouvoir de le faire : la convention de fiducie, en 1999, avait été conçue pour laisser le contrôle, (et donc les actions à votes multiples), entre les mains des dirigeants. Mais ce, en  prévoyant une limite à 30% de ces actions par actionnaire.  En bas de trois actionnaires, les actions sont sujettes, au bout d’un certain délai, à redevenir des actions à vote simple. Et on était jusqu’à dernièrement à ce nombre minimum de trois détenteurs: Claude Lessard, Pierre Delagrave et Georges Morin. Comme Georges Morin quitte, ses actions sont sujettes à être convertie en actions à droit de vote subalterne (un pour un). Et , une fois cette conversion réalisée, le nombre minimum d’actions à droit de vote multiples qui resteront en circulation (à savoir celles de Claude Lessard et Pierre Delagrave) sera moindre que le nombre minimum requis par la convention de fiducie. Donc, en remettant ces actions en jeu, Georges Morin a permis le déclenchement du processus.

Hier soir, suite à une assemblée extraordinaire, Cossette a annoncé la création d’un comité spécial, formé des membres de son conseil d’administration.

Pourront-ils se permettre de rejeter l’offre ? L’action, qui a déjà valu autour de 14$, végète depuis un bon moment autour de 3$. Cosmos offre 4,95 $ par action. Ce n’est pas le Pérou, mais ça mérite au moins qu’on y porte attention, compte tenu qu’on n’avait plus forcément grand espoir de voir une remontée à court terme… Claude Lessard poura-t-il rallier des appuis suffisamment solides sur le plan financier, et, surtout les convaincre du bien-fondé de sa vision ?

Et, parlant d’appuis, il faut aussi soulever la question du climat à l’interne, et des espoirs que l’on peut fournir à une éventuelle relève. Quelles perspectives peut-on offrir aux plus jeunes gestionnaires qui se sont joint à l’entreprise au cours des dernières années ? Si on parle seulement de l’aspect financier, quel espoir ont ceux qui ont reçu des options de les exercer bientôt à profit ? Cossette traverse, comme beaucoup d’agences, une zone de turbulences. Et, à Montréal, elle a perdu au cours des derniers mois plusieurs gros comptes: une partie du mandat de Bell, celui de Molson, celui du Groupe Pages Jaunes. Sans compter que GM, un de leurs principaux clients, ne va pas particulièrement bien…

Par ailleurs, Cossette, qui est toujours, et depuis un bon moment, la plus importante agence canadienne, a réussi à imposer un modèle d’affaires innovateur, et à percer à l’étranger, notamment à Londres. Mais dans ce contexte, il y en a de plus en plus pour se demander si le fait de demeurer public est vraiment le meilleur moyen pour Cossette de continuer sa progression.

MAJ: J’ai omis de préciser que Pierre Delagrave, l’autre associé détenteur d’actions à droit de vote multiples, est président de Cossette Média et de Fjord marketing interactif + Technologie. Il s’est joint à Cossette en 1975, et est l’artisan de la mise sur pied des départements de recherche, de médias, et, plus tard, de tout ce qui a trait à l’interactivité. Quant à Georges Morin, il s’est joint a Cossette Québec en 1973.

  1. Boyd Erman du Globe & Mail annonçait hier matin sur le blogue Streetwise que l’industrie de la pub était “agog” à propos de l’offfre d’achat de Cossette. Selon le Merriam-Webster le mot veut dire “full of interest or excitement”.

    Pourtant, ça ne semble pas être le cas. Les journaux font surtout référence à des ‘analysts speaking on the condition of anonymity’ et des ‘industry experts’ et ‘observers’. Mais de façon générale très peu osent se prononcer en commentant les articles en ligne et les blogues ou en échangeant sur Facebook.

    Ou bien l’industrie est en vacances ou bien toutes ces histoires d’actions à droit de vote subalterne n’intéressent que ceux qui en ont.

  2. Marie-Claude Ducas

    Le mot « agog » était peut-être un tantinet fort. Quoique… J’ai vu passer quelques commentaires sur Facebook, et j’ai parlé à quelques personnes qui, oui, ont des opinions, parfois assez marquées et passionnées. Il y quand même beaucoup de monde qui, ici, est passé chez Cossette, ou chez un de ses clients, et qui ont donc travaillé avec certains des acteurs concernés. Et il y a toute une histoire liée à Cossette Mais ces gens-là ne sont pas intéressés à parler pour être cités… Et là, on n’a pas parlé des gens qui sont chez Cossette, à des niveaux divers. Ce ne doit vraiment pas être évident pour l’ambiance de l’agence. Et, bien des analystes l’ont d’ailleurs souligné, ce genre de lutte n’est évidement pas bénéfique pas la santé d’une entreprise.
    Enfin… la suite reste à voir, et je reviendrai sûrement sur le sujet.

  3. Le monde de Cossette et moi | Montreal Social Media - pingback on 22 juillet 2009 at 0 h 48 min

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